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Eclairage: «Entreprises responsables: au 19e, un parallèle britannique»

Des universitaires nous éclairent sur des sujets d’actualité, de société ou de recherche. Aujourd’hui, Patrick Vincent, professeur à l’Université de Neuchâtel, tire un parallèle entre l’initiative «pour des entreprises responsables» et un débat qui a agité le Royaume-Uni sur le travail des enfants au 19e siècle.

19 nov. 2020, 17:00
Au 21e siècle, le travail des enfants, ici en Turquie, est encore une réalité.

Le débat autour de l’initiative sur les «multinationales responsables» s’est récemment envenimé. Les droits de l’enfant en sont notamment un enjeu.

Pour ses partisans, la responsabilité des entreprises est essentielle pour leur respect. Les opposants, quant à eux, critiquent le discours trop «émotionnel» des initiants, y voyant une moralisation «paternaliste» de l’économie, voire un «déni de réalité».

Nul besoin d’avoir lu Dickens pour savoir que la vie dans les usines était infernale.

Ces accusations nous rappellent une autre campagne politique qui avait également été dénoncée comme trop sentimentale: la lutte pour améliorer les conditions de travail des ouvriers britanniques au 19e siècle.

Nul besoin d’avoir lu Dickens pour savoir que la vie dans les usines était infernale, ou que leurs propriétaires s’opposaient à toute réforme au nom de «la main invisible» d’Adam Smith.

Les milliers d’hommes, de femmes, et d’enfants qui travaillaient quatorze heures par jour, six jours par semaine dans les manufactures et les mines du nord de l’Angleterre paraissaient aussi étrangers aux bourgeois du sud que les indigènes d’Afrique ou d’Asie.

Il a fallu de longues années de lutte, et toute une série de nouvelles lois entre 1802 et 1961, les Factory Acts, pour garantir des conditions de travail proches des celles que nous connaissons en Suisse aujourd’hui.

La campagne la plus féroce fut sans doute celle menant à une limite de travail de dix heures, ainsi que l’interdiction d’embaucher les enfants en dessous de neuf ans. Tandis que les Whigs, le parti libéral et progressiste, faisait l’éloge du laisser-faire économique, un conservateur de Leeds, Richard Oastler, lança une croisade morale contre l’emploi des enfants, qu’il comparait à l’esclavagisme.

Un lobby fut créé pour contrer ses demandes de réforme, jugées romantiques et irréalistes. On connaît les arguments: toute réduction du nombre d’heures de travail favoriserait la concurrence étrangère, baissant les salaires et créant du chômage. En empêchant les enfants de travailler, en outre, on livrerait leurs familles à la misère.

Mis sous pression, et jugeant que la réforme était inévitable, le Parlement à majorité Whig passa la loi en 1833, non pas sur la base d’arguments humanitaires, mais sous prétexte que la réforme rendrait le travail plus efficace.

Nulle surprise donc si, quelques années plus tard, Marx et Engels lancèrent leur attaque en règle contre le capitalisme. «A la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques» écrivirent-ils dans leur Manifeste, «[la bourgeoisie] a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale… La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité.»

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