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Eclairage: «Complots et sorcellerie à la cour de France»

Des universitaires nous éclairent sur des sujets d’actualité, de société ou de recherche. Aujourd’hui, Loïc Chollet, docteur en histoire médiévale à l’Université de Neuchâtel, évoque une période de l’histoire de France, le début du 15e siècle.

16 janv. 2020, 17:00
Le duc de Bourgogne Jean sans Peur.

Le 23 novembre 1407, le duc Louis d’Orléans, frère du roi de France Charles VI, est assassiné en plein Paris. Les tueurs ont agi sur l’ordre du duc de Bourgogne Jean sans Peur, l’implacable rival politique du défunt. Dans un premier temps, le commanditaire du meurtre tente de se dissimuler, puis avoue et s’enfuit sur ses terres.

A la fin de l’hiver 1408, il revient en force à Paris où ses partisans l’accueillent avec joie. Le 8 mars, Jean Petit, maître en théologie, est chargé de lire la Justification du duc de Bourgogne devant la cour et le roi. Le propos est le suivant: Louis d’Orléans était un tyran, et en l’éliminant Jean de Bourgogne n’a pas commis un assassinat, mais un tyrannicide.

Un tyran est un dirigeant brutal, mais surtout illégitime.

Dans la pensée politique médiévale, un tyran est un dirigeant brutal, mais surtout illégitime. Bien que tous les auteurs de l’époque ne soient pas d’accord sur ce point, certains affirment qu’il est louable de se débarrasser d’un tel personnage, y compris par la force. C’est cet angle d’attaque qu’a choisi le défenseur du duc de Bourgogne.

L’état de santé de Charles VI est avancé comme une preuve des machinations auxquelles se serait livré Louis. Depuis 1392, le monarque souffre d’une grave maladie mentale, que l’on peine à expliquer. Jean Petit prétend qu’en utilisant le poison et la sorcellerie, le duc d’Orléans aurait tenté de faire disparaître son aîné pour hériter de la couronne.

Le porte-parole du duc de Bourgogne ajoute que derrière Louis d’Orléans se trouverait son épouse, Valentine Visconti, et le père de celle-ci. Italienne, la duchesse d’Orléans appartient à une famille dont plusieurs représentants ont été accusés d’hérésie et d’empoisonnement au 14e siècle, pour s’être opposé à la politique pontificale.

Le réseau de Louis d’Orléans le lierait encore à Henri de Lancastre, qui renversa le roi d’Angleterre et se fit couronner comme Henri IV en 1399. Les ramifications du complot s’étendraient jusqu’à Chypre, île lointaine aux portes de l’Orient. En abattant la tête de la conspiration, Jean sans Peur aurait sauvé la personne du roi et l’intégrité du royaume.

Quelques décennies plus tard, le duc de Bourgogne est assassiné à son tour (1419). Les partisans de la famille d’Orléans écrivent alors que Jean sans Peur avait, dans sa jeunesse, été sélectionné par le diable pour dévaster la chrétienté. Ce genre de discours visait-il à convaincre les indécis, ou plutôt à souder les siens autour d’un récit commun, qui faisait sens politiquement mais auquel on ne croyait pas forcément?

Faire de l’ennemi un être diabolique dans le but de justifier sa fin brutale, voilà tout l’art de la «propagande» médiévale.

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