Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Neuchâtel: la culture paralysée, les professionnels du spectacle sur le carreau

«Fermé jusqu’à nouvel avis!» Après deux semaines de folie, deux semaines d’incertitude, le couperet du Covid-19 est tombé vendredi 13 mars à 14 heures: les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits jusqu’au 30 avril. De nombreux professionnels du spectacle se retrouvent sans travail et souvent sans revenu. Etats des lieux dans le canton de Neuchâtel.

16 mars 2020, 12:00
C'est triste une salle de spectacle sans public...

Dès vendredi soir, dans tout le canton, on trouvait portes closes au Passage, à la Case à chocs, au Pommier, au théâtre du Concert, au Casino-la Grange, au TPR, à l’ABC. Le Nouvel ensemble contemporain a donné son grand concert anniversaire sans public, ce week-end au Temple allemand. Pour l’amour de l’art.

Artistes, techniciens se retrouvent du jour au lendemain sans travail et, pour beaucoup, dans une situation précaire.

«Il faut accepter»

«C’est catastrophique mais il faut accepter». D’une voix blanche, la clown et chanteuse neuchâteloise Teresa Larraga résume le sentiment général. L’âme et directrice du théâtre Frenesi a dû annuler son spectacle, «Carmen», quelques heures avant la première de vendredi.

Nathalie Sandoz et sa compagnie De Facto devaient fêter la 100e de «Trois hommes dans un bateau sans oublier le chien» le 21 mars, à Genthod, près de Genève. «Pour une petite compagnie comme la nôtre», relève la metteure en scène neuchâteloise, «c’est maintenant, après trois ans de tournée, que le spectacle aurait pu commencer à s’autofinancer.»

Cette crise nous permet peut-être aussi de reprendre conscience de l’importance de vivre la culture ensemble…
Nathalie Sandoz, metteure en scène

«Mais c’est surtout très dur pour les artistes et les techniciens confrontés à un vrai manque à gagner sur les dates annulées», ajoute Nathalie Sandoz. Et c’est terriblement triste d’être à l’arrêt même si la situation sanitaire justifie totalement ces mesures. Cette crise permet peut-être aussi de reprendre conscience de l’importance de se réunir, de vivre la culture ensemble dans un même lieu et la partager.»

«Comme si on n’existait plus»

«Emotionnellement, c’est très violent pour un artiste», renchérit Robert Bouvier, comédien et directeur du théâtre du Passage. «C’est comme si on n’existait plus», ajoute l’acteur, dont la tournée en France et en Pologne du spectacle «Nous, l’Europe» s’est arrêtée brutalement.

L’exemple québécois?

Depuis une semaine, le patron du Passage vit «suspendu au téléphone»:  «Chaque annulation est un casse-tête, on doit résoudre des questions contractuelles, juridiques, financières et, bien sûr, humaines. Les techniciens et les employés en surnuméraire sont réservés huit semaines à l’avance, nous sommes tenus d’honorer nos engagements. On essaye aussi de reporter le plus possible de spectacles. Le Passage fera tout pour s’en sortir. On attend tous des décisions des pouvoirs publics face à ces cas de force majeure. Par exemple au Québec, le Ministère de la culture s’est engagé à honorer tous les contrats que les théâtres et les compagnies ont signés.»

«De 4000 à 15 000 francs de pertes par soirée»

Autre coup dur, la fermeture de la Case à chocs. «Les pertes se chiffrent entre 4000 et 15 000 fr. en termes de chiffre d’affaires global par soirée», précise Luana di Trapani, coordinatrice générale. Sans parler des frais déjà engagés. «Quant au personnel payé au forfait, le nécessaire a été fait auprès des services du chômage», ajoute Jean-Marie Lehmann, coordinateur. «Pour la plupart, c’est leur seul ou principal revenu.» Entre 25 et 30 personnes sont concernées.

Même les stars de l’opéra…

Bernard Richter dans le rôle d’Idoménée à la Scala de Milan en 2019. Photo: teatroallascala

On a beau être une star de l’opéra comme Bernard Richter, «quand le cachet ne tombe plus, c’est zéro + zéro rentrée, et on ne sait pas pour combien de temps. Mais les factures, elles, continuent d’arriver.» Le Neuchâtelois, qui figure dans le top-ten des ténors européens, devait chanter le rôle-titre de Pelléas dans «Pelléas et Mélisande», à La Scala de Milan dès le 4 avril.

Quand le cachet ne tombe plus, c’est zéro + zéro rentrée et on ne sait pas pour combien de temps.
Bernard Richter, ténor

Le chanteur pointe du doigt le statut d’indépendant «sans aucune protection alors que nous payons nos cotisations sociales. Un artiste indépendant payé à la prestation fait ce choix, certes, mais au prix de risques non pris en compte.»

Vers plus de solidarité

Bernard Richter veut croire que cette crise sera «l’occasion de sensibiliser nos autorités à la nécessité d’un système plus solidaire».

Et la solidarité n’est pas un vain mot. Vendredi soir, au restaurant du Passage fermé au public, le grand Lévon Minassian et ses musiciens arméniens ont joué pour toute l’équipe du théâtre et du restaurant sous le choc. Ce fut un de ces moments tragiques et magnifiques dignes d’une comédie shakespearienne. Quelques notes de musique pour rappeler le rôle si essentiel de l’art.

Coup dur pour les Abeilles

La fermeture du théâtre des Abeilles, à La Chaux-de-Fonds, signifie l’arrêt brutal de toutes les activités d’Evaprod: les spectacles de la compagnie, la programmation annuelle du théâtre, les locations, l’école, la chorale. Le coup est rude à une semaine de la première de «La petite boutique des horreurs», le spectacle des 20 ans!

Jusqu’au dernier moment, la troupe s’est donnée à fond. Ce spectacle, c’est 300 000 fr. de budget, 21 personnes engagées, que des pros. Un gros investissement pour un théâtre qui ne peut compter sur aucune subvention régulière. «Je ne sais pas comment on va se relever», confie Floriane Iseli (photo ci-dessous), codirectrice d’Evaprod.

«On est déjà sur le fil. Sans subventions, nous ne pourrons jamais nous en sortir.» En attendant, tous les billets seront remboursés (sauf pour ceux qui souhaitent en faire don).

Floriane Iseli, codirectrice d’Evaprod. Photo: Christian Galley

Votre publicité ici avec IMPACT_medias