La Chaux-de-Fonds, le 8 avril 2020,
Chers aînés,
Pour s’en sortir, il faut s’enfermer. Ainsi, moi qui ai presque l’âge de vous rejoindre, me voilà empêché de sortir pour venir vous dire un simple bonjour. La générosité nous impose aujourd’hui de manquer d’altruisme et de rester à la maison.
Si, au comble de l’inconscience, je décidais de braver cet interdit, je risquerais d’être arrêté manu militari devant le home, probablement après avoir été montré du doigt dans la rue par quelques rares passants de moins de soixante-cinq ans.
Non, vraiment, il faudrait que je sois fou à lier pour venir vous saluer et vous n’éprouveriez bien sûr aucun plaisir de voir un tel énergumène surgir parmi vous. Un enragé de la visite aux aînés ayant franchi tous les barrages qui vous protègent! Un terroriste de la poignée de main, de l’embrassade et de la bise fraternelle! Il vaut mieux que vous soyez bien gardés et protégés contre les idiots qui ne parviendraient pas à se concevoir comme de redoutables agents de la propagation du coronavirus.
Je ne sais pas si ces quelques mots ont la moindre chance de relativiser le sentiment de solitude qui peut-être vous étreint. Il est vrai que vous n’êtes pas seuls à vivre cloîtrés. Des familles sont contraintes de se claquemurer dans moins de cent mètres carrés avec des gamins intenables, sans garderie ni femme de ménage.
A l’inverse, des solitaires de tout poil et de tout sexe vivent recroquevillés dans leur studio, sans cuisinier ni infirmière. Il s’en trouve probablement parmi eux qui rêvent de venir vous rendre visite et de s’installer à vos côtés pour quelques semaines.
En toute sincérité, je me demande si vous n’êtes pas un peu les privilégiés de cette épreuve. Vous avez tout loisir de cultiver tranquillement vos souvenirs dans un home sécurisé pendant que vos enfants, petits-enfants, autres personnes de votre famille ou amis pensent à vous.
Et de penser à eux vraiment, dans la conviction que la solitude n’est pas qu’une affaire de visite, mais encore de présence dans le cœur et l’esprit des gens qu’on aime. Penser à vous, tels que vous êtes et que vous avez été, avec vos histoires fortes, vos combats, vos courages et vos déroutes, cela peut même être mieux, en attendant de vous revoir, que de venir machinalement vous rendre visite une fois par semaine.
Tout ça pour un petit virus de rien du tout, une espèce de sale puce plus petite encore qu’une puce! Ouvrons les fenêtres derrière nos portes closes.
Je pense à vous.
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Ces lettres sont lues dans l’émission de la RTS «Porte-Plume» diffusée du lundi au vendredi de 11h à 11h30. Une opération en partenariat avec «Le Nouvelliste», «Le Quotidien jurassien», «Le Journal du Jura», «La Liberté», «La Côte» et le mensuel «Générations».
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