«Passion», Jean-Luc Godard 1982. Dans le temps, que l'on vienne de la paysannerie, de la bourgeoisie ou de l'aristocratie si tant est que ce mot ait un sens, on avait le courage de lire à haute voix. Cela se passait avant la télévision qui est pour moi l'ennemi de la vie. Aujourd'hui, quand un comédien lit, on le trouve paresseux parce qu'il n'apprend pas son texte et que l'on pense qu'il peut se passer d'un metteur en scène. Alors que c'est l'inverse (regard complice à Jean Liermier). En lisant on ne doit pas jouer la comédie, ni s'accaparer de la sensibilité de l'auteur. Oublier d'être comédien.
«Nouvelles d'Henry James», Luc Béraud 1974. La discussion s'engage sur son amour des textes de Louis René Desforêts: «Mais les écrivains sont de très grands bavards. Ils racontent, inventent leur vie. (Un temps.) Des bavards muets. Les grands auteurs se sentent toujours concernés par la politique, qu'ils soient de droite ou de gauche. Les cinéastes aussi. On ne peut tout de même pas attribuer au hasard le fait que les grands cinéastes américains sont des juifs allemands qui ont fui le nazisme.
«Le saut dans le vide», Marco Bellocchio 1979. Dans la vie on fait des choses simples et on délire en alternance. Ce n'est heureusement pas propre aux artistes. Mais je crois qu'un artiste doit être un fou furieux et une personne simple. Même chose pour un artisan, tous ceux qui exercent une profession dite honorable. Les autres peinent à vivre. On doit pouvoir s'amuser de la folie des autres. Les comédiens qui n'ont en eux aucune folie, cela ne vaut pas la peine d'en parler. Voilà pourquoi j'aime tant Serge Merlin, que je ne connais pas, je l'ai salué une fois. Mais c'est un vrai comédien. Il n'est pas Suisse, Merlin? Les Suisses sont fous: Roger Jendly, Blaise Cendrars.
«Que les gros salaires lèvent le doigt!» Denys Granier-Deferre, 1982. «La Suisse originale, originelle, c'est normal que les gens ne votent pas la même chose dans les différentes parties linguistiques. La Suisse se moque tellement de l'Europe.» Jean Liermier lui fait remarquer qu'il reparle politique. «Que veux-tu. Je me suis construit comme ça. Je suis né avec l'émergence du nazisme, j'ai toujours été très concerné. Mais Baudelaire, notre Baudelaire l'était aussi. Ses petits poèmes en prose sont truffés de pouvoir. Le pouvoir c'est politique. Non?» Il se retourne vers Liermier, qu'il a rencontré en jouant le «Roi Lear», dans une mise en scène d'André Engels. Celui qui invite Piccoli aujourd'hui à Cernier occupait alors le poste de premier assistant. «Le pouvoir artistique on peut dire que c'est quand les assistants deviennent chefs.»
«Le sucre», Jacques Rouffio 1978. Jean Liermier explique la genèse de ce projet de lecture autour du texte «Une mort héroïque» de Baudelaire. «Un texte que je trimballe dans mon sac, toujours, et je ne savais pas quoi faire, j'ai même pensé réaliser un film alors que je ne connais rien à ce domaine.» Michel Piccoli resurgit: «Tu as raison, le scénario existe déjà, il est formidablement bien écrit. Oui, on va le faire, il faut le faire.»
«Jardins en automne» Otar Iosseliani, 2006. Piccoli à Liermier. «Tu te souviens cette phrase de Shakespeare que je n'arrivais jamais à retenir. Elle était très simple. Shakespeare me tendait des perches et des chicanes, me sublimait.» / ACA
Cernier, Grange aux concerts, spectacle anniversaire des Jardins musicaux, ce soir à 19 heures et 21 heures. Avec «Bureau de tabac» de Pessoa par Michel Kullmann. «Judith et Holopherne» d?Eric Gaudibert, sur un texte de François Debluë par François Rochaix. Et «Une mort héroïque», de Charles Baudelaire par Michel Piccoli