C'est là l'une des originalités du livre-enquête de Walter Hauser, «Der Justizmord an Anna Göldi» («Anna Göldi assassinée par la justice»), qui a retrouvé les documents utilisés par deux journalistes allemands de l'époque. Ces archives, de même que d'autres documents retranscrits pour la première fois, révèlent - entre autres - que le Conseil évangélique qui a jugé la servante n'avait aucune compétence légale pour le faire.
Les 180 pages de l'ouvrage offrent à Anna Göldi, femme apparemment sûre d'elle mais sans défense face à un patron-amant influent qui risquait très gros pour ses faiblesses charnelles, une miniréhabilitation. Car même en ce début de 21e siècle où les puissants s'excusent pour tout et rien, à Glaris, le Conseil d'Etat et l'Eglise protestante font de la résistance.
Walter Hauser, votre ouvrage caracole parmi les grands succès du moment, en librairie. Cela vous étonne-t-il? Absolument! Pendant mes recherches, je n'ai pas cessé d'entendre que c'était un sujet régional, que tout avait été dit. Ce qui est étonnant, c'est que les mêmes personnes qui ne veulent plus en parler, surtout à propos de la réhabilitation, achètent le livre à tour de bras!
Comment expliquez-vous cet intérêt? Le cas est très spécial. L'Europe des Lumières ne croyait plus aux sorcières. Mais le retentissement s'explique aussi, hier comme aujourd'hui, par le mélange de mysticisme, de suspense, de sexe et de crime - qui plus est dans les hautes sphères de la société, qui composait l'affaire.
Et vous, qu?est-ce qui vous a poussé à travailler trois ans sur ce sujet? Outre la dénonciation de l'arbitraire, je trouvais étonnant qu'il n'y ait jusque-là aucun essai sur la question. Deux romans, un film, qui ne se basent pas sur de grandes recherches, et c'est tout. J'ai voulu exploiter les archives pour savoir comment fonctionnaient la justice et la politique de l'époque. Or Glaris était une oligarchie, sans véritable séparation des pouvoirs. En 1865, un conseiller fédéral s'est même ému de la non-validité du tribunal qui avait jugé Anna Göldi. Juste après le verdict, on en était aussi conscient. Mais la chose fut ensuite oubliée.
Le Conseil d?Etat et le Conseil cantonal de l?Eglie réformée glaronaise ne voient pas la nécessité de réhabiliter Anna Göldi. La peur règne-t-elle encore dans le canton? C'est incompréhensible. Il y a une partie de refoulement. «Oublions le passé», disent beaucoup de gens. Et pourtant ce serait un signal positif vers l'extérieur, car Anna Göldi serait, à ma connaissance, la première ou une des premières «sorcière» réhabilitées d'Europe! Il y en a déjà eu aux Etats-Unis et des discussions ont lieu en Allemagne.
Vous avez trouvé beaucoup d?éléments nouveaux. Reste-t-il encore des secrets? Bien sûr, il en restera toujours. Pour quel motif Anna Göldi a-t-elle elle-même lancé la machine judiciaire en déposant plainte contre son patron, qui plus est en réclamant réparation? Les documents sont lacunaires - et nous avons cherché partout! On ne sait pas non plus, et on ne le saura probablement jamais, pourquoi les patrons d'Anna l'ont liée avec leur deuxième fille. Peut-être était-elle trop proche de sa servante? / AGB-La Liberté
«Der Justizmord an Anna Göldi» («Anna Göldi assassinée par la justice»), Walter Hauser, Limmat Verlag, Zürich, ISBN 978-3-85791-525-3