Une famille d'irréductibles se bat pour son toit à Pékin

Chez les Yu, on vend des marrons depuis 30 ans. Menacés d'expulsion, les quatorze membres de la famille défient les autorités et refusent de quitter leur maison. C'est à deux pas de la Colline de charbon et on n'y vendra plus de marrons. La petite bicoque de la famille Yu, qui abrite 14 personnes, est menacée d'expropriation. Cette fois, ce n'est pas pour construire un complexe commercial, comme l'histoire emblématique de la maison-clou de Wu Ping à Chongqing mais pour planter des fleurs.

20 juil. 2008, 12:00

La longue avenue du c?ur de Pékin se prépare à accueillir la «flamme sacrée» et a donc été débarrassée de ses petits commerces. Le but: faire place à l'un de ces parcs qui poussent comme des champignons dans ce Pékin préolympique. «Je comprends que la ville doive s'adapter aux Jeux olympiques», note Yu Pingju. Cette propriétaire de 40 ans souhaite simplement que la subsistance des trois générations soit assurée.

«Ce magasin, c'est tout ce que nous avons. Notre famille y vend des marrons sucrés et des fruits secs depuis trente ans.» Une vie certes «simple», «sans assurances» et un travail «acharné», mais néanmoins «agréable». Et la compensation proposée après des mois de bagarre (340 000 yuan, 50 500 francs), est dérisoire en cette période où les loyers prennent l'ascenseur.

Pour tenter de conjurer le sort et contrer les injonctions du gouvernement local, les Yu ont placardé des portraits des dirigeants actuels Wen Jiabao et Hu Jintao, ainsi que ceux de Mao, Deng Xiaoping. Sans oublier les drapeaux chinois et olympique et Bouddha. «Nous avons une totale confiance en nos dirigeants, qui respectent leur peuple. Pas comme ces petits fonctionnaires, avides et corrompus», explique Cai Aihong, la belle-s?ur de Yu Pingju.

Mais portraits et slogans - «Pour une société harmonieuse», «Pour des Jeux olympiques pacifiques» - n'empêchent pas la pression du gouvernement local. «En juin, on nous a emporté nos poêles à marrons, sans crier gare», tonne Madame Yu. Idem pour les trois grands frigos où étaient stockées les boissons du magasin. Un autre jour, c'est la partie frontale de l'échope qui est démolie: «Ils ont fait ça n'importe comment, la moitié du toit est partie, quand il pleut, c'est l'inondation!» Mais les Yu ont tenu bon même si depuis fin juin, les 14 membres de la famille n'ont plus aucune rentrée d'argent et puisent dans leurs maigres économies.

La Cour les a sommés de quitter les lieux avant le 13 juillet. L'avis d'expulsion a été placardé sur leur porte la semaine dernière: «C'est un faux, ça se voit, le tampon officiel a été apposé avant que le texte soit rédigé», précise Cai Aihong.

La tension monte. La destruction est imminente. La grand-mère de 71 ans ainsi que les quatre jeunes enfants se sont réfugiés chez des amis. Et chaque nuit, ceux qui sont restés ont peur et ne dorment plus. Les trax orange s'agitent autour de leur maison. Depuis deux jours, les Yu ont entouré leur échoppe d'un linceul noir: «Des officiels de l'administration nous épiaient jour et nuit, ça devenait intenable.» / MJA