Quels premiers constats pouvez-vous faire sur l'issue du scrutin de dimanche?
La politique devrait se concevoir comme la défense de l'humanité, du facteur humain et de la justice sociale. On constate que les forces de l'argent finissent de plus en plus par conquérir des majorités, souvent par la manipulation, en sachant habilement se servir des médias. Ils veulent nous faire croire que l'on peut gouverner une société comme une entreprise et que seuls les entrepreneurs possèdent la capacité nécessaire de diriger un pays, ils mettent ainsi en danger la démocratie. Avec l'UDC, nous avons à faire à des entrepreneurs milliardaires habiles et malins qui, pour gagner des élections, jouent sur la peur des étrangers.
Vous sentez-vous abattu par les scores de l'UDC?
Beaucoup de gens de gauche sont maintenant déçus et inquiets. Moi, je suis un homme de la défaite, j'aime les vaincus, je me méfie des gagnants. On doit toujours reprendre ses forces, continuer, ne jamais perdre l'espoir. Il faut voir les choses dans la durée, voilà pourquoi mes films s'attachent plus à l'histoire qu'à la politique. La culture s'inscrit dans la durée, la politique non, elles sont antinomiques. La culture est la s?ur de l'histoire.
Comment la gauche peut-elle se positionner?
Participer tous les quatre ans à des élections et espérer gagner quelques sièges est objectivement fastidieux et déprimant. J'aime ceux et celles qui rêvent de la révolution, même si ce rêve se révèle impossible. Il faut faire le deuil de cet impossible. Quand la gauche participe au pouvoir, elle se fait finalement toujours avoir. Elle doit retrouver un langage véridique et défendre des valeurs simples. Par exemple, celle de la démocratie, tout simplement. Il faut que la politique s'impose à nouveau sur l'économie.
Vous avez connu personnellement toutes les figures de la Suisse engagée, comme Niklaus Meienberg, Peter Bichsel, Max Frisch. Votre cinéma leur rend hommage. Comment jugez-vous le rôle de l'intellectuel engagé?
Meienberg déplorait le manque d'intellectuels dans notre pays; pour lui, il ne restait que des académiciens. Pour moi, la figure intellectuelle au sens d'insurgé, de résistant, de rêveur de l'impossible se perd. Tous les grands artistes ou intellectuels suisses sont partis vivre et travailler à l'étranger. L'intellectuel est un éternel exilé, finalement un sans-patrie. Nous sommes confrontés à de faux intellectuels qui ont pris la place des vrais.
L'utilisation graphique du drapeau suisse dans la campagne par l'UDC vous a-t-elle choqué?
Ce drapeau n'appartient à personne et à tout le monde. On devrait interdire l'utilisation du drapeau suisse sur des affiches et dans des annonces des partis politiques. C'est une usurpation. L'UDC considère que ses adhérents et électeurs sont les seuls bons et vrais Suisses. Donc tous les autres deviennent de potentiels traîtres à la patrie.
Quel est votre rapport à la patrie?
Ma vraie et seule patrie est le cinéma suisse. Quand je vois un documentaire suisse, je me sens parmi les miens, parmi mes semblables. Il me donne des images et des paroles vraies de ce pays et de son peuple. Pourquoi l'UDC hait le cinéma suisse? On dirait qu'ils sont guidés par la haine de l'autre. Leurs parlementaires votent systématiquement contre les crédits à la culture. Je ne crois pas que l'on peut défendre l'identité nationale en combattant ceux qui fabriquent la culture, car l'identité, c'est la culture et la culture, l'identité.
Comment considérez-vous l'activité politique?
J'ai quand même du respect pour celles et ceux qui font ce travail ingrat et infiniment difficile. Comme je respecte et j'admire les enseignants par exemple ou les gens qui travaillent dans les hôpitaux. Je méprise les apolitiques, ces idiots qui prétendent que la gauche et la droite, c'est la même chose. Alors que la gauche défend objectivement des intérêts généraux et la droite des intérêts particuliers. Je préfère la gauche à la droite. La politique suisse comparée à d'autres reste une politique relativement honnête. En tant qu'artiste, je suis un homme radical, mais en tant que citoyen, je crois qu'il faut savoir faire des compromis. / ACA