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Une banane poivre et sel

Il y a plusieurs façons de tuer un personnage imaginaire; Margerin, le gentil Margerin, dans le dernier album de «Lucien», a peut-être choisi la plus cruelle.

28 nov. 2008, 10:12

On l'aimait bien Lucien, depuis 1980 qu'il traînait sa banane, ses santiags, ses motos et ses guitares pourries, avec ses potes Ricky, Gillou et Riton et leur groupe de rock un peu naze. Après des récits plutôt loufoques, Margerin s'était lancé avec «Lucien» dans la chronique souriante d'une jeunesse pas bien méchante, qui ne brûlait pas de voitures, qui ne connaissait guère d'autres affrontements ethniques qu'entre babas, rockers et bobos, et pour qui les contentieux se réglaient en parties de flippers plutôt qu'à coups de couteaux.

Grâce à un sens aigu du tempo et de l'échelonnage des gags dans tous les recoins de ses planches, Margerin avait fini par créer un petit monde attachant et à devenir un dessinateur culte. Bien sûr, on avait déjà noté sa tendance au ressassement, mais rien ne laissait encore deviner la terrifiante métamorphose que subit Lucien dans «Toujours la banane»: notre héros a pris vingt-cinq ans et sans doute autant de kilos supplémentaires; il survit en donnant des cours de guitare et en tenant un magasin d'instruments de musique, il a une femme qui passe ses journées à surfer sur internet, un fils collé à sa Playstation et une fille qui change de look chaque semaine.

Les journées sont mornes, l'avenir indifférent, la banane presque blanche. Par hasard, il retombe sur Gillou, perdu de vue depuis un quart de siècle (!), puis sur Ricky, en train de sombrer dans la délinquance. Avec Riton, devenu flic, ils décident de se donner une nouvelle chance: recréer le groupe de leur jeunesse. Et soudain les enfants qui le méprisaient redécouvrent leur papa, et l'espace d'un concert tout redevient possible.

Margerin est un habitué des bons sentiments; dans le récent «Shirley et Dino», il montrait qu'avec peu de moyens mais beaucoup d'enthousiasme de petits artistes pouvaient se faire plaisir et faire plaisir à un public modeste mais fidèle. De fait, pourquoi vouloir être Jim Morrison quand on peut être Alain Morisod?

Ce nouveau (et dernier?) «Lucien» n'est pas forcément moins drôle que les précédents albums. Mais, en vieillissant, Lucien a levé le masque: nous le trouvions drôle parce qu'il était jeune et irresponsable; nous allons maintenant devoir admettre qu'il a toujours été un type très ordinaire. Cela peut être une chance pour lui, mais certains lecteurs risquent de ne pas s'en remettre. /ACO

«Lucien – Toujours la banane», Frank Margerin (scénario et dessin), éd. Fluide glacial, 2008.

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