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Géraldine Laurent donne un air très personnel aux standards rares

Une femme qui souffle dans un saxophone alto et qui dirige une formation intimiste à l'énergie incandescente. «Time Out Trio» le premier disque de Géraldine Laurent offre une dépaysante relecture de la tradition «black». D'emblée un son plein, gouleyant comme la pomme d'Adam de Wayne Shorter. Fantômes new-yorkais en sandales, whisky bien tassé dans le salon, du jazz langoureux comme on n'en fait plus en Europe, de la ouate, pavillon rutilant à l'air et rythmique envoyée. Une déflagration tonique et salutaire insufflée par Géraldine Laurent, jeune saxophoniste alto au talent décomplexé; le jazz français attendait cela depuis un moment, le courage d'une relecture «black» parsemée de silences et d'étonnement. Dans la forme apparemment toute simple d'un trio sans instrument harmonique. Un «Autumn Nocturne» tout en douceur pour s'acclimater, puis les décalages sur le tonique «Lester Left Town» sur les traces de l'oncle Wayne. Yon Zelnik à la contrebasse et Laurent Bataille à la batterie font mieux que suivre, ils laissent le sax suggérer, s'égarer, mijoter, eux peaufinent avec une élégance discrète.

27 sept. 2007, 12:00

Au téléphone, la dame avance à pas feutrés, comme son trajet de Niort à Paris, ses premiers gigs enivrants dans un bar de Calvi. En juin 2005, trois critiques blasés et incrédules noircissent des carnets en entendant son phrasé et sa façon si douce de digérer les avant-gardes pour juste jouer très bien les morceaux qui, émotionnellement, ont contribué à sa construction. «Si un thème me plaît spontanément je ressens le besoin de me l'approprier. Par rapport à ma formation classique le jazz me permet de me dépasser encore plus.» Plage quatre de cet opus produit par le batteur Aldo Romano: vitesse, cassure, jouissance, baguettes qui s'égarent sur le métal de la caisse claire et son vibrionnant, à l'attaque toujours, il faut rendre hommage à Ornette Coleman, le libertaire, oisillon aux ailes d'acier. Vite, vite, jusqu'à la fringale, le plein d'idées, notes bousculées, contrebasse en plein élan: «Rejoincing» écrit l'homme au chapeau et à l'instrument blanc.

L'auditeur s'écarte, elle arrive, une fougue qu'elle a dénichée chez Sonny Rollins: «Je l'écoute plus que n'importe quel altiste, je dois tout à l'esprit de son trio avec Elvin Jones.» Un colosse qui pousse la femme introvertie à se mettre en avant: «On ne reproche jamais à un pianiste son égocentrisme dans un trio. Cela permet de jouer beaucoup, mais tout cela me passera j'aurai peut-être envie de me fondre dans un groupe de nouveau.» Son autre trio avec le batteur Eric Groleau et la contrebassiste Hélène Labarrière, une des pionnières de la musique improvisée, la poussait sur des chemins encore moins balisés; elle a laissé tomber pour le moment: «J'avais besoin de digérer tout ce qui s'était passé. Mais ces expériences free m'ont appris à transgresser et à reconsidérer la musique et les sons comme des espaces de rythmes. J'y reviendrai sûrement.»

«Fables of Faubus» de Charlie Mingus est un des hymnes contestataire les plus forts que le jazz ait inventés et peut-être les débuts du slam. Tout le début du thème consistant en une violente diatribe du bouillonnant contrebassiste contre ce gouverneur raciste de l'Arkansas. Une composition qui pouvait durer 30 minutes sur scène. En 7 minutes 13 secondes Géraldine Laurent semble en garder l'ardeur mutine, la contemplation agacée: «La replacer uniquement dans un discours musical me permet de rajouter un peu de flou sur tout cela.» La colère douce d'un chorus intelligent. / ACA

«Time Out Trio», Géraldine Laurent, Dreyfuss Jazz (distrib. Disques Office», 2007
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