Comme suspendu aux lèvres de Noémi Lefebvre, nous suivons les phrases sans respiration de son premier roman avec beaucoup de bonheur. Ses phrases en cascade nous amènent avec sa narratrice dans un avion entre Berlin et Paris, et au coeur de la remémoration douloureuse d'une rencontre avec un pianiste lors de ce séjour récent.
Pleine d'autodérision, se flagellant sans cesse avec humour, la narratrice regrette d'«avoir saoulé le pianiste avec un tas de paroles», de lui avoir tapé dans le dos comme un homme et se traite de vache imbécile. Le déferlement de mots charrie des répétitions savamment dosées, des incongruités réjouissantes, en un mot, la langue brille.
Sous la rencontre amoureuse apparaît en filigrane le thème de la résistance et du nazisme, introduits par «L'Autoportrait bleu», un tableau du peintre et compositeur Schönberg qu'admire le pianiste. L'artiste «avait dit merde aux Nazis», «en avait», et son tableau suggère une solitude, celle de sa position face à la culture du bonheur collectif de l'Allemagne à l'époque. Les thèmes de la solitude, de la résistance et du bonheur collectif sont répétés, étalés et nuancés. Ce pianiste dont la narratrice semble être tombée amoureuse mais qu'elle n'a pas su séduire porte la mauvaise conscience allemande, et aussi solitaire que Schönberg, n'est pas écouté, en tout cas pas par le public de l'Auditorium, venu là pour «de la musique classique et pas pour entendre parler un pianiste». A ce sujet, Noémi Lefebvre manie brillamment les idées contradictoires et n'a pas peur des paradoxes: «De Theresienstadt on ne dirait jamais rien mais il fallait bien que ce soit dit».
A côté de ces sujets graves de l'art et de la résistance sont explorées des questions plus intimes, la relation de la narratrice avec sa soeur, les effets de leur éducation sur elles, leur lien avec leur père. En résumé, «L'Autoportrait bleu» brille par sa langue, ses sujets et son ton, parfois drôle, parfois poignant, toujours entraînant.
«L'Autoportrait bleu», Noémi Lefebvre, éditions Verticales