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Les loups sont parmi nous

Le nouvel album de Tronchet, «La gueule du loup», surprendra peut-être les familiers de Tergal et Calbuth: il se situe pourtant dans la logique de l'évolution «réaliste» de son auteur. Tronchet possède une sorte de grâce: il parvient à se renouveler profondément, tout en restant fidèle à lui-même. Pour souvent loufoques ou décalés que soient ses personnages, ils n'en gardent pas moins de solides attaches avec la réalité quotidienne, et s'il est une constance de l'?uvre de Tronchet c'est bien son attention aux déshérités de la vie, sous toutes les formes possibles. Son évolution, sous l'influence en particulier de sa compagne Anne Sibran, vers plus de gravité, aboutit aujourd'hui à un album qui rejoint les préoccupations de bien des dessinateurs modernes de tranches de vie, mais avec en plus un je-ne-sais-quoi de sourdement délirant qui est bien la marque inimitable de Tronchet. Prenez un gynécologue en instance de divorce et roi du poker menteur, un pauvre hère vivant avec ses chiens qui tient à la fois de Maurice Poissard (pour la dèche), de Jean-Claude Tergal (pour les difficultés sentimentales) et de Raymond Calbuth (pour la frime: il croit sans arrêt jouer dans des films cultes) et faites-leur rencontrer une réfugiée roumaine, au visage triangulaire typiquement tronchetien, bien décidée à délivrer sa s?ur jumelle des griffes d'un richard vicieux et pourri jusqu'à l'os. Ajoutez en prime un zeste d'Amélie Poulain (comment pimenter le quotidien par des gestes farfelus) et de Beigbeder (coke, sexe et grosses voitures), mixez le tout dans un suspense à la Hitchcock (revendiqué comme tel), avec une maison dans la Drôme (peut-être un peu trop près de la région parisienne, mais tant pis) et des égouts à la Jean Valjean.

11 avr. 2008, 12:00

Ecrivez le quart des dialogues en roumain (vous verrez: on s'y habitue très vite), et terminez enfin de manière mystérieuse et presque onirique dans les rues de Bucarest: vous obtiendrez un album qui ne ressemble à rien, ou plutôt qui est du pur Tronchet, une fable puissante sur l'amitié, l'amour, l'orgueil et ce besoin d'aventures hors du commun qui est au fond de chacun d'entre nous. On pense à «Houppeland», où le héros n'avait l'air de rien et parvenait pourtant à renverser une dictature, mais sans le côté fantasmagorique: nous sommes bien ici dans la France de 2008 et ce surcroît de réalisme, inhabituel chez Tronchet, lui permet de signer un indiscutable chef-d'?uvre. / ACO

«La gueule du loup», Didier Tronchet (scénario et dessin), Futuropolis, 2008
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