Et le côté pile? C'est moins reluisant, répond Baudouin Eschapasse dans son livre «Enquête sur un guide de voyages dont on doit taire le nom».* Ce journaliste français s'est attaqué au monument créé en 1973 par deux étudiants de l'Ecole supérieure de commerce de Paris, Michel Duval, qui a quitté le bateau depuis, et Philippe Gloaguen, qui est plus que jamais à la barre.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cette bible qui a popularisé le voyage bon marché n'en sort pas grandie. «Mais attention, corrige le journaliste, «le Routard n'est pas le seul à travailler ainsi. La majorité des guides fonctionnent de la même manière.»
La raison? Un guide de voyage, ça coûte très cher, environ 150.000 francs pour un nouveau «Routard» par exemple, et il faut le rentabiliser rapidement, car il se démode tout aussi rapidement, répond Baudouin Eschapasse.
Ce qui pourrait d'ailleurs expliquer la réaction musclée du «Routard»: «Clairement, Philippe Gloaguen a tenté de me décrédibiliser», témoigne le journaliste. Il essaie aujourd'hui de casser ma carrière. Lui et les éditions Hachette, auxquels appartient le «Routard», m'ont menacé ainsi que mon éditeur de procès.»
Pour l'instant, rien n'a bougé. Mais pour Baudouin Eschapasse, on est bien loin de l'esprit d'ouverture, baba cool même, que vante le «Routard», un mot que tente de faire protéger Philippe Gloaguen comme étant son invention, sa marque. En vain pour l'instant.
Reste que pour éviter toute procédure judiciaire, l'auteur a préféré taire le nom de son sujet dans le titre de son livre qui dévoile les dessous du guide en s'appuyant sur plus de 150 interviews et des révélations venues de l'intérieur de la grosse machine touristique.
Point par point, Eschapasse démonte le mythe du «Routard». Des exemples? Ceux qui croient qu'enquêter pour le guide est un métier de rêve en seront pour leurs frais. C'est même plutôt la mine, selon Baudouin Eschapasse qui a pu se procurer un exemplaire du manuel du «Routard», un document remis à chaque envoyé spécial sur le terrain.
Au programme d'une journée type: entre quinze hôtels et huit à dix restaurants, racontent les enquêteurs du guide, qui se plaignent aussi d'être sous-payés. Sans oublier les bars, les musées, les sites intéressants et les boîtes de nuit en soirée. Une vraie course qui débute à 8h du matin pour se terminer à minuit. Et cela en deux semaines en moyenne.
Et comment faire un travail critique dans ces conditions? Il faut aller vite. Très vite même. Et ouvrir l'oeil et le bon.
«C'est de l'abattage», résume un intervenant de Baudouin Eschapasse. Et comment se fait la sélection? Facile. Il suffit de lire ce que faire la concurrence et de se tourner vers l'office du tourisme (OT) du coin qui indiquera les bonnes adresses à l'envoyé du guide. Un envoyé qui aura bien du mal à travailler incognito malgré ce que prétend le «Routard»
Cette connivence s'explique pour l'auteur du brûlot sur le «Routard». Le guide signe des contrats avec certains OT qui financent en partie ses ouvrages. «Le «Routard» va même jusqu'à leur faire lire les pages qui concernent les OT», ajoute Eschapasse.
Le guide conclut aussi des accords avec les compagnies aériennes qui offrent des billets d'avion et avec les voyagistes pour un hébergement à l'oeil. «Une question de coût», remarque Baudouin Eschapasse. «La remise à jour d'un guide revient ainsi bon marché. Environ 1500 francs en moyenne.»
Autre pavé dans la mare: le «Routard» comme d'autres guides d'ailleurs, se vante d'être revu et corrigé chaque année. «Rien de plus faux», s'insurge le journaliste. «Selon mon enquête, c'est au mieux tous les trois ou quatre ans. Parfois même sept ans pour les destinations les moins prisées.» Ce qui peut poser des problèmes de sécurité parfois lorsqu'on conseille à des marcheurs de ne pas s'encombrer d'eau car ils pourront en trouver dans un restaurant plus loin dans la montagne.
«Et que cet établissement n'existe plus», complète Baudoin Eschapasse qui s'inquiète du nombre important de fautes dans le guide. Même s'il peut les comprendre. «L'erreur est humaine.» / PVA-La Liberté
*Baudouin Eschapasse, «Enquête sur un guide de voyages dont on doit taire le nom», Editions du Panama, 282 pages.