La lumière cristalline d'un début de soirée ensoleillée sur le Val-de-Ruz. Puis il y a les odeurs, celle du foin et celle des animaux. Le chant des oiseaux, le meuglement des vaches.
Jeudi, la Grange aux concerts, à Cernier, était comble. L'Orchestre symphonique d'Etat de Lituanie dirigé par Valentin Reymond sonne majestueusement. Dans le «Concerto pour violon» op.15 de Britten, il est en parfaite harmonie avec le soliste. Mikhaïl Ovrutsky, au violon, développe une sonorité suave et veloutée qui plonge le public dans un délicieux enchantement. Son exceptionnelle précision ne s'encombre pas d'une virtuosité démonstrative. Les timbales obsédantes et hiératiques et le jeu concentré du violoniste donnent au concerto un caractère désolé, solitaire et intense.
Parée d' une longue robe très Jungenstil, comme échappée d'une toile de Klimt ou de Munch, Brigitte Hool sculpte sa voix dans les «Vier letzte Lieder» de Strauss. Timbre de bronze à la patine changeante accompagné d'un orchestre de velours. Sonorité sombre dans «Beim Schlafengehen», la voix module sans aucune dureté, et apparaît parfaitement homogène.
Un deuxième concert permettait de découvrir «Le sacre du printemps» de Stravinsky dans une version du compositeur pour deux pianos. Comment défendre au piano (fussent-ils deux) cet extraordinaire moment orchestral qu'est «Le sacre du printemps»? Comment rendre ce premier chant du basson? Les accords âpres répétés aux cordes? La superposition des timbres?
En fin coloriste, Marc Pantillon parvient à dessiner la ligne d'un cor, à extraire de la masse sonore l'incise de la mélodie d'une clarinette ou d'un hautbois. Jonathan Higgins ne craint pas de plaquer des accords compacts qui sont d'une violence quasi orchestrale. L'?uvre est d'une virtuosité ébouriffante qui n'effraie pas les deux pianistes. L'auditeur peine tout de même à se laisser aller au plaisir pianistique, tant cette ?uvre est indissociable de son paroxysme orchestral.
Et c'est la bouleversante «Fantaisie en fa mineur» pour quatre mains de Schubert. Après Stravinsky, le contraste est saisissant. Le spectateur sort de La Grange enveloppé d'une douce mélancolie. La nuit est tombée sur le Val-de-Ruz, les vaches se sont tues. Le foin embaume l'air silencieux et de loin en loin une vague lueur suggère que la lune va se lever. / sag