Si Freud fut un paria dans sa propre patrie, c'est à cause de ses origines juives et du caractère alors insolite de ses théories, affirme Alexandre Friedmann, psychiatre et membre du Consistoire israélite autrichien. «L'antisémitisme était virulent dans la monarchie austro-hongroise à la fin du XIXe siècle et au tournant du XXe, notamment à Vienne» où Freud, juif non-pratiquant, a vécu 78 ans, ajoute-t-il.
Né en 1856 en Moravie, alors territoire de l'ex-empire austro-hongrois (République tchèque aujourd'hui), Freud a fondé au début du XXe siècle à Vienne sa théorie sur la psychanalyse alors qu'Adolf Hitler découvrait dans la capitale l'«antisémitisme racial» dont il fera le pilier de son idéologie nazie.
Pour Christine Diercks, présidente de la Société psychanalytique de Vienne fondée par Freud en 1908, «il y avait certes un antisémitisme virulent à Vienne» à cette époque. Mais «Freud y a été reçu de manière ambivalente: la psychanalyse, qui faisait peur, a été rejetée et critiquée mais elle a aussi fasciné Freud est venu avec de nouvelles idées qui ont brisé les tabous», observe-t-elle, ajoutant que «dans un monde à la morale victorienne, il fallait s'attendre à des réactions négatives». Après un séjour à Paris, où il travaille en 1885 avec le neurologue français Jean-Martin Charcot, Freud rentre à Vienne où il est, pour la première fois, ouvertement confronté à la réprobation de ses thèses.
A une époque où l'hystérie est exclusivement imputée aux femmes, Freud tient en octobre 1886 devant la Société des médecins un exposé dans lequel il affirme que les hommes pouvaient également être atteints de ce trouble psychique. Le scandale est total. Le jeune docteur, établi à 30 ans comme praticien dans la capitale, est rejeté par ses pairs et par la société viennoise de l'époque.
En 1890, il publie néanmoins «L'interprétation des rêves» dans lequel il fonde sa théorie psychanalytique qu'il prolonge dans les années 1920 avec sa théorie du «ça», du «moi» et du «surmoi». Inquiété par les nazis, il s'exile à Londres en 1938. Il meurt l'année suivante dans la capitale britannique.
«Freud a rompu avec un grand tabou de l'Eglise», explique encore Alexandre Friedmann. «Dans un pays catholique qui voyait les enfants asexués, il leur a donné une sexualité dans laquelle il a vu l'origine des névroses des adultes». Adulé en Occident, Freud n'est accepté en Autriche seulement après la Seconde Guerre mondiale.
«Aujourd'hui encore, Freud n'est pas applaudi partout et la psychanalyse est confrontée à des animosités», ajoute Christine Diercks. Notamment parce que «les gens souhaitent quelque chose de simple. Mais la psychanalyse est compliquée et elle ne fait pas des miracles». / KME-ats