Originaire de Macédoine du Nord, Teona Strugar Mitevska a bien du talent et du mordant. Après avoir fait ses premiers pas au cinéma comme enfant-actrice, elle s’est consacrée non sans bonheur à la réalisation. Avec l’ironie mêlée de gravité qui la caractérise, elle nous parle de son dernier film en date tourné à Sarajevo.

Quel a été l’élément déclencheur de votre sixième long-métrage?

Une histoire hélas véridique. Elle est arrivée à Elma Tataragić, ma coscénariste bosnienne. Pendant le siège de Sarajevo, alors qu’elle avait 17 ans, Elma a été blessée par balle et s’est retrouvée dans le coma. Cette histoire, elle l’a gardée pour elle pendant plus d’un quart de siècle, jusqu’au jour où, dans le cadre d’un stage de théâtre, le passé a soudain resurgi… D’abord, je me suis demandé si j’avais le droit de la raconter, étant de Macédoine du Nord, puis je me suis dit que la guerre, même si elle m’avait beaucoup moins impactée, avait, comme pour Elma, changé ma vie, la mienne et celle de toute une génération en ex-Yougoslavie.

Vous avez abandonné le cadre du stage de théâtre, pour quelle raison?

C’est la volonté d’Elma… Elle a voulu changer le contexte du stage théâtral pour quelque chose de plus universel qui concerne un plus large public, avec une émotion que la plupart d’entre nous recherchent, qui est celle de l’amour. Elle a alors eu l’idée du speed dating, une situation à laquelle, je crois, tout le monde peut s’identifier. Pour moi, c’était aussi la bonne manière de nous faire entrer dans une histoire plutôt dramatique: avec une certaine légèreté et avec humour.

Pourquoi avoir situé l’action dans le Holiday Inn de Sarajevo?

Pour nous, c’est un lieu de mémoire essentiel. Pendant le siège, le Holiday Inn, qui a été construit pour les Jeux olympiques d’hiver 1984, est le seul à être resté un hôtel. Y logeaient tous les correspondants de guerre… Aujourd’hui, il accueille le Festival du Film de Sarajevo, tout un symbole! Et j’adore son architecture brutaliste.

Vous avez donné des noms de villes suisses aux différents espaces du speed dating…

À l’époque de Tito, la Suisse était considérée comme le pays des merveilles, de la plénitude, de tout ce qu’on voulait être et avoir. Cette tradition s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui où, dans toute l’ex-Yougoslavie, l’on trouve encore les noms de villes suisses comme Bâle ou Zurich attribués à des salles de conférences ou à certaines chambres d’hôtels.

Quel est le sens de cette séquence où votre protagoniste se mêle à une rave party très juvénile?

Pour moi, c’est la séquence-clef du film… C’est le moment où elle se donne enfin le droit de se libérer de son passé. Asja se mêle à des jeunes gens qui ont l’âge qu’elle avait quand elle a été blessée et qu’elle ne pouvait donc pas danser. Et puis il y a aussi l’idée de la nouvelle génération et de la question indispensable que pose le film: comment créer un futur dans les Balkans? Oui, comment quitter cet espace de non-dit qui nous mine de l’intérieur?

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