Enfant, Ted Rota rêvait déjà de scène et de musique. Devenir… danseur étoile ! Un songe éveillé qu’il n’a pu caresser que le temps que son père y mette fin. Pour ce dernier, une telle option n’était même pas envisageable… Mais la vie en a décidé autrement.

«La première rencontre décisive de ma vie a eu lieu par écran interposé. Cela peut paraître étrange, mais la première fois que j’ai vu un film avec Marilyn Monroe, j’avais 11 ans, et j’ai immédiatement ressenti une véritable connexion avec elle, comme si nous nous comprenions mutuellement. Elle est devenue pour moi, plus qu’une égérie, un modèle. Marilyn, je l’ai dans la peau depuis ce moment-là.»

Une Marilyn qui se décline dans tout son univers dès lors, et que l’on retrouve chez lui sous toutes ses formes possibles et inimaginables, de la vaisselle à la cravate, sans oublier les objets encore plus improbables…

Fan de Marilyn

«Lorsque j’étais étudiant, je travaillais dans une usine qui fabriquait des friteuses à La Neuveville. A chaque fois que j’en emballais une, je glissais un petit feuillet qui disait simplement que j’étais fan de Marilyn et que je serais ravi et tellement reconnaissant si je pouvais recevoir quelque chose en rapport avec elle, et les colis ont commencé à affluer.» Quelque 50 ans plus tard, la collection de Ted Rota figure parmi les plus importantes d’Europe. De là à dire qu’il est entré dans la cour des grands par ce biais, il n’y a qu’un pas, un pas qu’il franchira par étapes…

«Après avoir cherché ma voie pendant quelque temps, je me suis rendu compte que coiffeur était le métier qui me correspondait. Mettre les autres en valeur, les présenter sous leur meilleur jour, voilà ce que je souhaitais faire. Et être à l’écoute également. Paradoxalement, le fauteuil du coiffeur fonctionne comme celui d’un psy, et même sans s’en rendre compte parfois, les personnes qui y prennent place se livrent et se délivrent. J’aime ces moments de confidence, ces moments d’échange, cela fait toute la richesse de mon métier, d’un coup de ciseaux à l’autre…»

Faire la tête avec le sourire

Coiffeur de longue date à La Neuveville, dans sa «Boîte à coupes», le seul salon au monde où l’on vous fait la tête avec le sourire, il y pratique des prix défiant toute concurrence, les mêmes depuis au moins une décennie. «Je n’ai pas l’eau courante dans mon local situé en vieille ville, dans une maison qui appartenait à mes parents. Plutôt que de faire des travaux onéreux, j’ai décidé d’adapter mon concept au lieu. Je ne lave pas les cheveux, je ne propose pas de teinture, mais je coupe les cheveux et affûte les barbes également.»

Sollicité un peu partout pour ses talents en matière de coiffure, Ted Rota mène cependant une double vie de longue date. Coiffeur le jour, il est transformiste la nuit. «Les hasards de la vie m’ont conduit à 20 ans dans les coulisses d’une troupe biennoise, les Hermaphrodites, qui proposaient des spectacles de transformiste. Le transformiste n’est pas un travelo. C’est l’art d’incarner sur scène quelqu’un d’autre. De se fondre dans la peau de l’autre jusqu’à en adopter les gestes, le phrasé, la manière de se mouvoir et de danser.»

Adieux à la scène

Ayant incarné au cours de sa longue carrière plus de 60 personnages, pour la plupart des femmes célèbres, de Cher à Madonna, sans oublier Dalida et Barbara, Ted Rota a signé en novembre 2021, avec sa complice de toujours, un dernier spectacle en guise de point d’orgue.

«Je voulais faire mes adieux à la scène avec ‹Elles› et rendre hommage une dernière fois à toutes ces femmes magnifiques qui m’ont accompagné et habité si longtemps, et nous avons rencontré un franc succès à La Neuveville. Je me rends compte cependant que je ne peux me résoudre à arrêter complètement et espère sincèrement que nous aurons l’occasion de rejouer ce spectacle encore quelques fois avant de ranger mes costumes dans mes malles.»

De magnifiques costumes, qui ne demandent qu’à reprendre vie, l’espace d’un anniversaire ou d’une animation dans un cercle privé. «J’ai la chance d’avoir rencontré, il y a peu, un partenaire qui sait m’accompagner aussi bien à la scène qu’à la ville. Avec lui, j’imagine la suite en toute sérénité, même si je n’arpenterai plus forcément les théâtres ces prochaines années.» Une vie qui lui ressemble, entre extravagance et sensibilité exacerbée.

Céline Latscha / Le Journal du Jura

Ted Rota, le coiffeur neuvevillois qui mène une double vie

Son dernier spectacle autobiographique, «Elles», met en lumière le paradoxe d’une existence entre sa carrière de transformiste et sa profession.