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Liberté d'expression: la Suisse condamnée par Strasbourg

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné mardi la Suisse pour avoir interdit une fondation contre le racisme de qualifier de "racisme verbal" des propos tenus par le président des Jeunes UDC de Thurgovie avant le vote sur les minarets, en 2009.

09 janv. 2018, 17:18
Les faits remontent à novembre 2009 lors d'un débat organisé pendant la campagne précédant le vote sur l'initiative contre les minarets.

La Suisse a violé le droit à la liberté d'expression de la Fondation contre le racisme et l'antisémitisme (GRA) en lui interdisant de qualifier de "racisme verbal" un discours du président des Jeunes UDC de Thurgovie prononcé en 2009. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), à Strasbourg, a condamné mardi la Suisse.

Les faits remontent à novembre 2009 lors d'un débat organisé pendant la campagne précédant le vote sur l'initiative contre les minarets. Le président des Jeunes UDC de Thurgovie de l'époque Benjamin Kasper avait alors déclaré qu'il "était temps de mettre fin à l'extension de l'islam".

Le jeune politicien avait ajouté que "la culture suisse, dont le fondement est le christianisme, ne devrait pas se laisser supplanter par d'autres cultures". "L'interdiction des minarets est dans ce sens un signe symbolique de notre volonté de préserver notre identité", avait-il encore déclaré.

Plainte civile

Sur son site internet, la Fondation contre le racisme et l'antisémitisme avait qualifié ces propos de "racisme verbal". Les Jeunes UDC de Thurgovie ont exigé de la GRA qu'elle retire ce commentaire du site. La GRA a refusé. Benjamin Kasper a alors déposé une plainte civile contre la fondation en août 2010 pour atteinte à la personnalité.

Le tribunal de district de Frauenfeld a rejeté la plainte en 2011. Le Tribunal cantonal thurgovien s'est ensuite prononcé en faveur de Benjamin Kasper et a interdit à la GRA de maintenir son commentaire sur son site internet. La fondation a alors porté l'affaire devant le Tribunal fédéral.

En août 2012, le TF a estimé que "celui qui se prononce, sans jugement de valeurs, contre l'extension de l'islam en Suisse n'est pas raciste", donnant ainsi raison à Benjamin Kasper. En qualifiant de "racisme verbal" les propos du politicien thurgovien, la GRA a porté une atteinte civile illicite à son honneur, a conclu le TF. La GRA a alors porté l'affaire devant la CEDH.

"Pas dénuée de fondement factuel"

Dans son jugement publié mardi, la CEDH donne raison à la GRA et dit "à l'unanimité" qu'il y a eu violation de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour estime que dans le contexte du débat sur l'initiative contre les minarets, l'utilisation des mots "racisme verbal" par la GRA "n'était pas dénuée de fondement factuel".

Par ailleurs, la GRA "n'a jamais suggéré que les déclarations" du politicien "pouvaient être considérées comme relevant du droit pénal en vertu de la législation nationale sur la discrimination raciale". Les actes de la GRA n'ont en outre "pas constitué une attaque gratuite contre la personne" de Benjamin Kasper "ni une insulte" à son égard.

La CEDH souligne encore que le président des Jeunes UDC de Thurgovie est un "acteur de la vie politique" s'étant déclaré en faveur de l'interdiction des minarets. C'est la raison pour laquelle il "devait faire preuve d'un degré supérieur de tolérance à l'égard des critiques éventuellement formulées par des personnes ou des organisations professant des opinions opposées aux siennes".

Vie privée et liberté d'expression

La sanction imposée à la GRA "aurait aussi pu produire un effet dissuasif sur la liberté d'expression de celle-ci", souligne la CEDH. Les juridictions suisses "n'ont pas dûment pris en considération les principes et critères énoncés dans la jurisprudence de la Cour pour la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d'expression, outrepassant ainsi leur marge de manoeuvre".

La Cour condamne la Suisse à verser 5000 euros (5860 francs) à la GRA pour préjudice moral. Les frais et dépens, à charge de la Suisse, se montent à 30'000 euros (35'180 francs).

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