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L'initiative antiminarets vise en fait la communauté musulmane de Suisse

Derrière l'initiative contre les minarets, sur laquelle le peuple suisse se prononcera le 29 novembre, c'est la présence de la communauté musulmane en Suisse qui est dans la ligne de mire. Mais qui est-elle? Analyse.

21 oct. 2009, 11:44

Avant, on les surnommait les ?Yougos?. Ils ?taient jeunes, vivaient seuls et travaillaient le plus souvent comme man?uvres. Aujourd'hui en Suisse, ils se retrouvent dans cette communaut? forte de plus de 300 000 personnes qu'on appelle les musulmans. Collaborateur scientifique ? l'Universit? de Lucerne, Samuel Behloul d?plore comme beaucoup d'autres ce raccourci. Pour ce sp?cialiste de l'islam, c'est comme si on mettait dans le m?me panier les Suisses, les Africains, les Portugais, les Equatoriens et qu'ils perdaient leurs diff?rences pour ne plus ?tre identifi?s que comme Chr?tiens.

?La communaut? musulmane de Suisse n'est pas une entit? homog?ne, explique-t-il. Elle est compos?e de nationalit?s tr?s diff?rentes d'un point de vue linguistique et culturel. Prenez un Bosniaque. Il se sent en principe plus proche d'un catholique suisse que d'un musulman pakistanais. Le choc culturel n'est pas o? on le croit. Ensuite, l'islam a aussi ses diverses branches et ? l'int?rieur de chacune, on y trouve des croyants pratiquants et d'autres non, des conservateurs et des plus modernes?.

La pr?sence de musulmans sur le territoire suisse est attest?e d?s le 10e si?cle, lorsque des Sarrasins franchissent les Alpes. Jusque dans les ann?es 1970, elle reste marginale, mais l'essor ?conomique de la fin des ann?es 1960 ouvre la porte ? la main-d'?uvre turque et yougoslave n?cessaire ? l'industrie helv?tique. Durant la seconde moiti? des ann?es 1970, la Suisse autorise le regroupement familial.

Parall?lement, un autre mouvement s'engage d'ordre politique et humanitaire, avec l'arriv?e de r?fugi?s. Dans les ann?es 1990, l'?clatement de la Yougoslavie provoque la fuite de la population musulmane menac?e en Bosnie, Mac?doine, au Mont?n?gro et au Kosovo.

Plusieurs ?v?nements ont alors fait de cette pr?sence musulmane un th?me politique. Certains chercheurs, comme Matteo Gianni*, situent la rupture lors de la vague d'attentats qui a touch? d'abord les Etats-Unis en 2001, puis Madrid et Londres.

Et de citer ?galement les pol?miques concernant l'int?gration de la Turquie dans l'Union europ?enne, les caricatures de Mahomet, le port du foulard en France, etc? Samuel Behloul estime ?galement que la c?sure date du 11 septembre 2001. ?Soudain, les ?trangers sont devenus les musulmans?. Mais pour lui, cette communaut? a commenc? ? ?tre stigmatis?e quelques ann?es plus tard en Suisse, ?lorsqu'on s'est rendu compte que non seulement elle augmentait, mais qu'en plus les gens allaient rester?.

Effectu? en 2000, le recensement f?d?ral livre ses premiers r?sultats en 2002. La Suisse d?couvre que l'islam est sa troisi?me religion avec 4,26% d'adeptes, contre 2,21% en 1990, 0,89% en 1980 et 0,26% en 1970. Un autre chiffre ne passe pas inaper?u: 12% des musulmans sont Suisses, dont 7,4% naturalis?s. Voil? qui sert la cause des opposants ? la naturalisation facilit?e des jeunes g?n?rations, objet soumis au peuple en 2004.

Hafid Ouardiri, ancien porte-parole de la mosqu?e de Gen?ve et fondateur de la Fondation de l'Entre-Connaissance, y voit un tournant. ?L'UDC comprend qu'elle tient l? son fonds de commerce. Elle se permet d'associer la figure de Ben Laden au passeport suisse alors que les musulmans de Suisse sont majoritairement europ?ens. Un chiffre a aussi circul? disant que si on ne faisait rien, la Suisse serait compos?e de 70% de musulmans d'ici 2040, ce qui est statistiquement absurde?. D'autres arguments ressortent r?guli?rement, comme la criminalit? ?trang?re ou encore l'extr?misme religieux, qui sont des r?alit?s. ?Mais c'est l'affaire de la police et elle s'en occupe?, argumente Samuel Behloul qui rappelle que parmi les 5% de musulmans qu'on dit extr?mistes en Suisse, on m?lange l'extr?misme de la pens?e, de la pri?re, de l'action. ?Il faudrait plut?t retenir que 95% des musulmans en Suisse vivent normalement. Ils sont l? pour vivre en paix, dans un pays d?mocratique et pas pour appliquer la charia que la plupart ont justement voulu fuir?.

En 2008, la naturalisation par les urnes stigmatise la m?me population. ?Aujourd'hui, il y a les minarets et je me demande d?j? ce qu'il y aura apr?s??, appr?hende Hafid Ouardiri qui estime que de tels d?bats menacent tous les efforts d'int?gration men?s par les multiples associations actives sur ce terrain. Pour Samuel Behloul, il est clair que l'initiative contre les minarets cache un ressentiment plus profond contre les ?trangers. ?Actuellement, le probl?me est moins pour les musulmans de vivre ici que pour les Suisses de les accueillir?, estime-t-il.

Hafid Ouardiri reproche aux politiciens de s'?tre laiss?s prendre par surprise. ?Leur premi?re erreur a ?t? de ne pas voir que nous n'?tions pas que des gens de passage, que nous allions nous installer et prendre la nationalit? suisse. Ainsi, lorsque des projets de construction de minaret ont commenc? ? faire couler de l'encre en Suisse al?manique, ils se sont r?fugi?s derri?re les lois sur l'am?nagement du territoire au lieu d'ouvrir un vrai d?bat sur la pr?sence musulmane en Suisse et les questions qu'elle soul?ve. Cette grave erreur profite aujourd'hui ? l'UDC?. /MAG

*Co-auteur de ?Musulmans d'aujourd'hui. Identit?s plurielles en Suisse?, Ed. Labor et Fides

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