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Des balles suisses

22 juil. 2011, 10:56

La caisse métallique de couleur olive est posée négligemment sur le sol caillouteux. Sur une étiquette blanche figure le nom du fabricant des 400 cartouches M80 qu'elle contient: Ruag Ammotec, filiale du groupe d'armement basé à Thoune et propriété de la Confédération. Ces munitions suisses pour fusils mitrailleurs et mitrailleuses, les rebelles libyens du front de l'ouest les utilisent contre les troupes loyales au colonel Mouammar Kadhafi.

C'est la télévision suisse alémanique qui, mercredi soir, dans l'émission «Rundschau», a révélé la découverte étonnante en Libye du journaliste indépendant Kurt Pelda. En montant vers la ligne de front, le reporter a d'abord découvert plusieurs boîtes de cartouches estampillées «Ruag». Avant de tomber, au milieu d'un arsenal hétéroclite, sur la fameuse boîte métallique portant, côté pile, le nom du fabricant bernois, et côté face, celui du destinataire des munitions: le Qatar, via une société zougoise, FGS Frex, à Oberägeri.

Le Qatar soupçonné

Selon «Rundschau», c'est l'Etat du golfe Persique, seul pays arabe faisant partie de la coalition engagée contre le colonel Kadhafi, qui aurait envoyé aux rebelles libyens les cartouches achetées en 2009 en Suisse. Problème: d'après le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), qui contrôle les exportations de matériel de guerre helvétique, le Qatar s'était engagé à ne pas réexpédier plus loin les munitions sorties des usines de la Ruag.

A-t-il violé sa promesse? En accord avec le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), le Seco a diligenté une enquête, confirme sa porte-parole, Antje Bärtschi. Dans l'attente de ses résultats, plus aucune autorisation d'exporter vers le Qatar ne sera délivrée. En 2010, l'émirat avait passé des commandes pour 515 000 francs, contre 2,56 millions en 2009.

Et si les rebelles libyens s'étaient directement approvisionnés en Suisse? Dans notre édition du 1er juillet, Mohamed Bachir Al Warfalli, qui coordonne depuis la Tunisie l'aide humanitaire et la logistique pour la rébellion, affirmait avoir reçu «des moyens de communication, des munitions, de l'aide humanitaire et sanitaire» de la Suisse. «Ni le Seco, ni le DFAE n'ont connaissance d'un tel soutien armé», réplique Antje Bärtschi. La Suisse n'en a pas moins affiché une certaine bienveillance vis-à-vis du Conseil national libyen de transition, dont un représentant a été reçu en mars à Berne par la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey. La coopération suisse a par ailleurs ouvert une antenne à Benghazi, dans l'Est du pays.

Joint hier, le journaliste Kurt Pelda se demande pour sa part si la Suisse ne cache pas quand même une partie de la vérité. Il soupçonne en effet les munitions de Ruag d'avoir été destinées dès le départ à la rébellion libyenne. Quant au Qatar, il n'aurait servi dans cette affaire que de prête-nom. Kurt Pelda ajoute avoir vu sur le front des roquettes air-sol de fabrication suisse. Comment les insurgés se sont-ils procuré ces armes? Le journaliste poursuit son enquête.

Il y a un précédent

Ce n'est pas la première fois que de l'armement suisse finit par ricochet dans un pays en guerre. En 2005, des chars M-109 d'occasion vendus un an plus tôt aux Emirats arabes unis avaient réapparu au Maroc, pourtant interdit d'achat de matériel de guerre «made in Switzerland» en raison du conflit au Sahara occidental. «Si l'on pense que 20 000 autorisations ont été délivrées ces dix dernières années, le nombre d'abus - un avéré, deux si l'affaire libyenne se confirme - est infiniment petit», relativise Antje Bärtschi.

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