Que seraient les artistes d’art contemporain sans les techniciens qui réalisent leurs œuvres?

Du croquis à l’œuvre aboutie, il y a souvent un long chemin, emprunté par de nombreux travailleurs de l’ombre: des forestiers, serruriers, grutiers, maçons, etc.

A Môtiers, où l’exposition d’art contemporain Art en plein air a ouvert ses portes ce dimanche 20 juin 2021, nous avons rencontré le Fleurisan Thierry Bezzola. Coordinateur de l’exposition, il s’occupe des questions techniques depuis 2003.

«C’est ma 5e édition cette année. Je connais bien les artistes. J’essaye de réaliser leurs souhaits. Ici, il n’y a pas de censure, pas de limite à leur folie, mis à part la sécurité et l’aspect financier.»

Certains artistes ne se limitent pas à faire le croquis, ils bossent aussi sur le terrain.

Thierry Bezzola, coordinateur technique de l’exposition

A ses côtés, son fils Valentin, Jacques Haldi et Pierre-André Blaser, tous bénévoles, sont à la tête de ce chantier hors du commun. Et il y a les indispensables, comme Franco Bagatella, serrurier retraité, «magicien de la ferraille». Ou encore l’équipe de forestiers de Val-de-Travers, mise à disposition par la commune et dirigée par Claude-André Montandon. «C’est extrêmement précieux.»

Suspendre un rhino, dresser une girafe

Menuisiers, débardeurs, entreprises de construction… Divers professionnels de la région sont mandatés pour des travaux inattendus. Comme accrocher le mobile géant de Denis Roueche à une grue, dresser dans la prairie le squelette d’une girafe, œuvre de Christian Gonzenbach, ou enlacer des lanières de cuir autour d’un arbre et y suspendre un rhinocéros en pierre de trois tonnes, sculpté par l’artiste Olivier Estoppey…

Une girafe dressée vers le ciel, signée Christian Gonzenbach. Photo Muriel Antille

«Transporter le rhino à travers la rivière a nécessité 10 personnes. Pour la fausse neige disséminée autour, nous avons fait appel à une entreprise parisienne spécialisée dans les décors de cinéma», raconte Thierry Bezzola.

Son plus gros défi? «La pierre de Bob Gramsma, en 2016, doit bien être dans le top-3», sourit Thierry Bezzola. Il avait fallu une autogrue, deux tracteurs, un bras élévateur, deux pelleteuses et une demi-douzaine d’ouvriers pour extraire du sol l’empreinte en béton d’une maison…

Certains se débrouillent

«Les artistes sont reconnaissants de ce que l’on fait pour eux. J’ai vraiment de la chance de faire ça. Mais certains ne se limitent pas à faire le croquis, ils bossent aussi sur le terrain.»

Le mobile géant de Denis Roueche, suspendu à une grue. Photo Muriel Antille

Ainsi, Grégory Chapuisat a mouillé sa chemise, au propre et au figuré, pour construire in situ son temple indien de bois brûlé. «Il a fait 100% de l’installation», souligne le coordinateur technique, admiratif. «Deux mois de travail sous la pluie, avec sa compagne.» Un temple devant lequel il faut s’agenouiller pour l’apprécier totalement.

Urs Twellmann a également retroussé ses manches pour scier dans la longueur d’immenses arbres morts, à qui il a offert une seconde vie au centre du village.

De son côté, Alexandre Joly a monté tout seul sa chapelle inversée. «On lui a livré le bois, et il s’est débrouillé.»

D’autres délèguent

D’autres fabriquent, ou font fabriquer, leurs pièces dans leurs ateliers. «On s’occupe du transport et du support des installations.» C’est le cas du corail en marbre de carrare, signé Claudia Comte, qui trône au milieu de la Grand-Rue. Pour ce poids lourd de 3,5 tonnes, il a fallu construire un support en béton du même poids. «La rue sera remise dans son aspect initial à la fin de la manifestation cet automne. L’artiste repartira avec la sculpture, et le support sera recyclé.»

Il y a aussi ceux qui font appel aux artisans du coin. C’est l’ébéniste de Môtiers Olivier Sidler qui a sculpté la mouche géante crashée dans un tronc d’arbre, signée par l’artiste fleurisan Martial Leiter. Trois mois de boulot pour cette pièce de 250 kg environ.

L’ébéniste de Môtiers Olivier Sidler a sculpté la mouche de 250 kilos, signée par l’artiste Martial Leiter. Photo Muriel Antille

L’art de ne rien faire

Et puis, il y a les œuvres qui n’ont fait transpirer ni l’équipe technique, ni les artistes. C’est le cas du module de skatepark signé Olivier Mosset et John Armleder. Un objet déjà existant, promu œuvre d’art uniquement parce que les artistes l’ont décidé. Selon le concept du «ready-made» instauré par Marcel Duchamp, qui le définissait comme étant «une œuvre sans artiste pour la réaliser».

De quoi soulager les techniciens. Quant à savoir ce qu’ils en pensent… Joker!

Un module de skatepark qui serait un banal aménagement urbain si Olivier Mosset et John Armleder ne l’avaient pas signé. Photo Muriel Antille

Un record d’affluence à Môtiers Art en plein air

La huitième édition de l’exposition Môtiers Art en plein air a vécu. Le Covid a autant inspiré les artistes qu’aspiré les visiteurs.