Un long silence. Trois corps immobiles. Pour certains, insupportables. Il fut plus difficile de se confronter aux premières minutes d'«Une table pour trois» de Jacques Demierre qu'au poignant «Chant de la terre» de Mahler. Les angoisses de Schumann, pourtant révélées avec une violence inhabituelle, ont moins agressé le spectateur que la souffrance suintant d'«Azza», une pièce du compositeur israélien Nimrod Katzir. Mais l'intérêt des Jardins musicaux, qui se sont achevés hier à Cernier, tient, aussi, dans ces va-et-vient entre de grandes uvres du passé et des pièces contemporaines parfois très ciblées. Dans ces grands écarts souvent moins douloureux qu'enrichissants auxquels ils convient leur public depuis treize éditions maintenant.
«Nous avons eu de nombreux spectateurs sur liste d'attente, la plupart pour les concerts composés d'uvres majeures, de référence», situe Maryse Fuhrmann, codirectrice du festival avec Valentin Reymond. «Mais il y a aussi une formidable prise de risque de la part des spectateurs, ils partagent notre goût de la découverte». De même que Steve Reich, John Cage ne fait plus peur. «Ils ne remplissaient pas la salle la première fois qu'on les a mis à l'affiche; dès la seconde programmation, c'était complet», relève Maryse Fuhrmann, qui à l'avenir souhaite un même sort à William Blank, dont les «Cris», cette année, ont eux aussi ancrés le festival dans les drames de notre époque.
Une concentration, une précision extrêmes. De la dentelle vocale époustouflante, exécutée par les sept voix des Neue Vocalsolisten Stuttgart, interprètes magistraux des «Madrigali» de Sciarrino. «Le son est une matière qui peut paraître abstraite, mais qui en fait exprime plus qu'on ne pourrait le croire a priori. Il s'inscrit dans nos vies et nos souvenirs, comme le font les odeurs.» Aux Jardins, le son a parfois résonné comme une parole. Et le mot «porte en soi un son»: ces recherches-là passionnent Maryse Fuhrmann.
A l'image du travail de La Sestina sur les «Trois chants contre le cours des choses» de Cordero, les créations et les commandes se sont révélées au diapason des Jardins, relève encore la codirectrice. Et quand l'inclassable Annegarn vient s'inscrire dans la partition? Il se sent libre, Dick, et sa façon, désarmante, de se donner en toute décontraction a réussi à emmener un public qui apparemment ne le connaissait guère. «Nous sommes perméables à d'autres approches, dès lors qu'une personnalité nous touche; or la sienne est unique et généreuse. Nous ne regrettons par de l'avoir programmé. Un tel concert est pareil à une ruelle ouverte sur une autre direction.» /DBO