«Complétement ahurissant!» Les ornithologues Céline Schneider et Michel Kohler en sont restés bouche bée. Dans le cadre de leur suivi des forêts d’Hauterive pour le compte de la Station ornithologique suisse de Sempach, ils sont tombés sur d’importantes coupes de bois durant ce mois de mai. «C’est incompréhensible et aberrant de réaliser ces travaux à une période aussi cruciale pour la reproduction des oiseaux!», réagissent-ils.

Selon les deux naturalistes, le lièvre qu’ils soulèvent est d’autant plus important que la forêt située entre la ville et Chaumont est unique. «Beaucoup d’ornithologues nous l’envient, car on y trouve quatre espèces de pics. Et c’est la seule forêt du canton qui abrite le pigeon colombin», précise Céline Schneider.

«Génocide local»

Or, selon eux, de telles coupes de bois peuvent être désastreuses pour les oiseaux. Non seulement des nids pourraient être abattus en même temps que les arbres, mais le bruit et les dérangements dus au débardage pourraient faire échouer des couvaisons. François Turrian, directeur de l’Aspo-Birdlife, parle même de «génocide à l’échelle locale»: «c’est extrêmement problématique. Au mois de mai, il y a pratiquement toutes les espèces qui couvent ou qui élèvent leurs jeunes en même temps. Ce mois devrait être totalement tabou pour les coupes de bois.»

Céline Schneider et Michel Kohler ont ainsi écrit aux communes d’Hauterive et de Neuchâtel, au Service cantonal de la faune, des forêts et de la nature, ainsi qu’aux sections locales de Pro Natura et du WWF. «Nous ne sommes pas contre les coupes de bois. Mais c’est le calendrier qui ne va pas. Il y a neuf mois dans l’année pour faire les coupes», précise Céline Schneider, qui remarque par ailleurs que l’Etat de Neuchâtel vante «sa sylviculture proche de la nature».

Effet de la sécheresse

Ingénieur forestier en charge du secteur, Jan Boni confirme que près de 900 mètres cubes de bois sont en train d’y être évacués. Un volume comparable à ce qui sort chaque année de cette forêt mais exceptionnel à ce moment-là de l’année. Il s’agit principalement de sapins blancs, victimes de la sécheresse de l’an dernier. «Nous avons identifié ces arbres l’automne. Ce qui est inhabituel, c’est qu’il y a eu une recrudescence de ce dépérissement en avril.»

Dès lors, les forestiers ont décidé d’évacuer ces bois. Jan Boni invoque une question de sécurité pour les troncs proches des sentiers, mais aussi un critère économique. «Ces arbres sont encore commercialisables aujourd’hui, mais ils n’auront plus de valeur économique à la fin de l’été. Une fois sec, le bois est rapidement attaqué par les champignons.»

«Ces coupes sont légales»

«C’est la première fois qu’on nous interpelle par rapport à ces dérangements», remarque Jan Boni, qui précise que la période de nidification des oiseaux n’a pas été spécialement prise en compte, «peut-être par méconnaissance».

«Ce qui est important lorsqu’on parle de dérangement, c’est l’intensité. Ici, le chantier se déplace. On n’est pas plusieurs jours dans le même secteur», tempère l’ingénieur forestier. Il précise également que la grande majorité des arbres évacués sont de petits gabarits, «trop petits pour accueillir des trous de pics».

Le forestier précise que toutes ces coupes sont légales. De fait, l’exploitation du bois est interdite entre le 1er juin et le 30 septembre, avec des marges de manœuvre de deux semaines avant et après ces dates. «Et pour les chablis (réd: les arbres déracinés ou en mauvaise santé), on peut intervenir toute l’année», précise Jan Boni.

Situations «exceptionnelles»

Néanmoins, la «situation particulière» ayant mené à ces coupes devrait rester exceptionnelle. Les bûcherons évitent normalement les coupes de bois à ces périodes-là de l’année. «L’idéal, pour une coupe, c’est d’être hors-sève. Avant que la sève ne monte ou quand elle est redescendue, soit entre septembre et mars», explique le forestier. Sans compter que la forêt des hauts de Neuchâtel est très courue durant les beaux jours par les randonneurs et les sportifs.

Pour François Turrian, les cas comme celui d’Hauterive sont «ponctuels». Mais ils mettent en lumière une problématique qui risque d’augmenter. Avec le réchauffement climatique et les printemps qui prennent parfois de l’avance, «les oiseaux nichent de plus en plus tôt.» Et risquent d’être ainsi plus souvent au nid lors de coupes de bois.

La route des Bugnenets sera fermée en raison de coupes de bois

Du 11 au 15 octobre prochain, il faudra faire un détour pour relier Le Pâquier aux Bugnenets. D’importantes coupes de bois se tiendront dans une forêt protectrice.