Il faut le voir parler de tortues. Bernard Jacquat tourne avec énergie les pages de l’ouvrage «Toutes les tortues du monde». Happé par sa lecture, il nous emmène en Grèce, en France ou sur les îles Galápagos…

Le Bevaisan de 79 ans voue une passion à ce reptile muni d’une carapace depuis ses cinq ans. «Impossible» pour lui de dire combien de tortues sont passées entre ses mains d’ancien vigneron.

«Les athlètes de haut niveau éprouvent du bonheur à améliorer leur performance, à collectionner les meilleurs temps et les trophées. Moi, c’est pareil. Mais avec des tortues.»

Cette tortue cistude n’avait pas encore 24 heures d’existence lors de notre rencontre avec Bernard Jacquat. Photo: David Marchon

Une passion précoce

La révélation remonte à la fin des années 1950, lorsqu’un villageois lui offre, ainsi qu’à deux de ses amis, une tortue. Leur mission: s’en occuper chacun à leur tour. L’excitation des débuts laisse rapidement place au désintérêt des enfants. Sauf pour Bernard Jacquat. «J’étais émerveillé», se souvient-il.

tortues.

Au plus fort de sa «collection», Bernard Jacquat a possédé jusqu’à une soixantaine d’individus simultanément.

Cette étincelle se transforme en brasier quelques années plus tard. Un légionnaire, de retour d’Algérie, a eu vent de l’attachement du jeune Bernard pour les tortues. Il l’invite à observer quelques œufs «souvenirs» ramenés d’Afrique du nord. Le Bevaisan a désormais une certitude: un jour, il possédera ses propres couvées.

Il patientera près de 30 ans pour assister à la première ponte. Bernard doit racheter des bébés à la fin des années 1960 après «une pause forcée» de sept ans en raison «des études, du service militaire et… de Madame Jacquat».

«Posséder directement des adultes ne m’intéressait pas», explique-t-il. «Je voulais les voir grandir, comme des plantes évoluant au gré des saisons et des années.» Sa «collection» augmente, jusqu’à atteindre une soixantaine d’individus.

Près de trente ans séparent la cistude (à droite) des deux tortues hermann. Photo: David Marchon

Pas de carton à bananes

La naissance de chaque tortue procure chez Bernard Jacquat «un sentiment indescriptible», lâche-t-il, les larmes aux yeux. «Je sais que je ne devrais pas le faire, mais je n’arrive pas à m’empêcher de les aider à percer leur coquille…»

Hermann, graeca ibera, trachemy scripta scripta ou encore marginata: Bernard Jacquat a possédé des spécimens de toutes ces espèces. Sans jamais se ruiner: «J’ai acheté très peu de tortues. Dès que les gens du village n’en voulaient plus, ils me les apportaient.»

Un petit coin de jardin, un plant de tomate, un pot de capucines, un caillou et votre tortue sera aux anges.

Bernard Jacquat, passionné de tortues

Il en a également beaucoup vendu. Mais pas à n’importe quelles conditions. «J’exige qu’elles vivent heureuses! Si c’est pour que la tortue passe sa vie entière sous une lampe, bloquée dans un carton à bananes avec sa feuille de salade, non merci.»

«Il n’y a pas besoin d’un hectare», s’emporte le retraité. «Un petit coin de jardin, un plant de tomate, un pot de capucines, un caillou et votre tortue sera aux anges.» Chez lui, il a aménagé un espace d’une douzaine de mètres carrés de ce type avec, en plus, un étang.

Des cistudes barbotent dans l’eau. Photo: Bernard Jacquat

Sauvons les cistudes

En 2005, Bernard Jacquat intègre le projet Emys – du nom scientifique de la cistude –, afin de sauver l’unique espèce de tortue indigène. Avec moins de 500 individus en Suisse, celle-ci est menacée. Entre 2013 et 2015, une vingtaine de cistudes ont notamment été relâchées dans la réserve de la Vieille-Thielle, à Neuchâtel.

Son histoire d’amour avec cet animal touche cependant à sa fin. Sa dernière tortue est née ce lundi 11 octobre aux alentours de 15h. Au printemps 2022, après la vente de sa ferme, il passera le flambeau. Les nouveaux propriétaires ont promis de prendre soin de ses protégées.

«Qui sait, dans quelques années, certaines cistudes sauvages seront peut-être originaires de mon petit bout de terre à Bevaix…»

Hormis pour pondre, la cistude passe sa vie entière dans l’eau. Photo: David Marchon

Bevaix: «Monsieur tortues» passe (lentement) la main

Après toute une vie (ou presque) de passion pour les tortues, le Bevaisan Bernard Jacquat va bientôt tourner la page. Nous l’avons rencontré chez lui, au milieu de ses protégées.