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Le réfugié kurde de Turquie arrêté en Autriche raconte son histoire

Réfugié politique kurde de Turquie, Mesut Tunc a eu très peur. Arrêté en Autriche le 3 janvier (notre édition du 13), il aurait pu être extradé. Il a été libéré deux semaines plus tard. De passage à La Chaux-de-Fonds où il a vécu, il répond à nos questions.

31 janv. 2009, 08:49

En Turquie, vous avez été condamné à 36 ans de prison pour terrorisme. Etiez-vous un terroriste?

Il y a 15 ans en Turquie, tout opposant politique était qualifié de terroriste et jugé et condamné d'une manière expéditive. Vous pouviez n'avoir participé qu'à une manifestation. A mon arrestation, j'étais un tout jeune étudiant de 18 ans. Ma famille hébergeait des gens recherchés. Dénoncé, j'ai été arrêté avec mon frère. J'ai subi beaucoup de tortures: décharges électriques, coups aux pieds, privation de sommeil, menace de mort. Après un mois d'interrogatoire, j'ai dû signer un papier sans même avoir pu le lire. Ils m'ont jugé sans aucune enquête et condamné à 36 ans de réclusion pour avoir adhéré à une organisation terroriste et avoir soi-disant participé à des activités visant à renverser le régime en place.

Vous êtes victime du syndrome de Wernicke-Korsakoff, une atteinte des fonctions cérébrales due à une carence en vitamine B1. Pourquoi?

J'ai été incarcéré en 1995. A cette époque, nous étions des centaines de prisonniers politiques qui étaient quotidiennement maltraités et torturés. Le régime visait à nous éliminer silencieusement. Notre unique moyen de résister était la grève de la faim. Nous en avons fait plusieurs, de plus en plus longues. Au terme de la dernière, au 125e jour de la grève, j'étais au bord de la mort. Grâce à une mobilisation de l'opinion publique, notamment de nombreuses institutions internationales, j'ai été hospitalisé et libéré pour inaptitude médicale et sous condition comme environ 300 autres prisonniers. Mais jusque-là des centaines d'autres ont perdu la vie dans ces longues grèves. En cas de retour dans les conditions de prison, nous risquons la mort. La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs reconnu que notre vie est en danger en prison et a condamné la Turquie sur les cas de réemprisonnement des ex-détenus souffrant du syndrome de Wernicke-Korsakof.

Gardez-vous des séquelles de ce syndrome?

J'ai des pertes de mémoire. Parfois, je ne sais plus si j'ai fait des choses ou pas. J'ai beaucoup de peine à enregistrer ce que j'apprends. Je fais toujours des cauchemars. Je suis actuellement des cours d'allemand à l'Université de Fribourg. Ce n'est que maintenant que je commence à refaire ma vie.

D'abord réfugié en Allemagne, vous avez rejoint votre femme à La Chaux-de-Fonds. Quelle impression avez-vous de cette ville?

J'y suis resté une année. C'est assez difficile à exprimer, mais une chose est assez claire pour moi; je ne me suis jamais senti étranger à La Chaux-de-Fonds. J'étais comme chez moi. Je suis parti pour Berne parce que j'y avais trouvé un travail.

Vous avez été arrêté à la frontière autrichienne et menacé d'extradition. Comment avez-vous vécu cette nouvelle incarcération?

Comme un grand choc. Ça m'a rappelé tout ce que j'ai vécu en Turquie. Maintenant j'ai deux enfants, de 2 et 4 ans. Ils étaient toujours dans mes pensées. Parce que je suis reconnu comme réfugié politique, je me croyais à l'abri. Maintenant, je me sens de nouveau dans l'insécurité et cela me hante.

Quelle leçon tirez-vous de votre mésaventure?

Même si je suis reconnu comme réfugié en Allemagne où vivent mes parents, je ne veux pas prendre le risque d'y aller. J'ai entendu dire qu'une ou deux personnes ont été renvoyées en Turquie. Je ne veux pas revivre ça. Cela pèse trop sur ma famille, sur ma propre santé.

Quel message adresseriez-vous aux Suisses?

La situation en Turquie a certes évolué, mais dans beaucoup de domaines les changements restent uniquement sur le papier, en particulier en ce qui concerne les opposants de gauche et les nationalistes kurdes et les conditions dans les prisons. J'aimerais dire aux Suisses que nous sommes ici avant tout parce que nous étions persécutés en raison de nos idées et nos activités politiques en faveur d'un monde meilleur. Il faut essayer de comprendre les réfugiés qui espèrent recommencer à vivre et participer à la société suisse qui les a accueillis. /RON

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