Fini l’équitation au cœur des Marais rouges, aux Ponts-de-Martel. La tente équestre et agricole qui trône illégalement depuis 1992 au milieu du biotope protégé devra être évacuée et son terrain assaini. Le Département cantonal du développement territorial et de l’environnement (DDTE) a rendu cette décision le 10 juin. Les actuels propriétaires des lieux ont six mois pour démonter la construction et un an pour remettre en état le terrain. Ils entendent faire opposition.

S’ils s’attendaient à devoir démonter la tente – une grande structure de type halle de fête, «démontable et sans fondation» – Susi Enderli et Sylvain Nussbaumer s’insurgent contre l’évacuation des remblais sur lequel elle se dresse et surtout le coût de l’opération. Tous deux sont copropriétaires de cette parcelle acquise en 1995. «Ils veulent nous faire disparaître!», tonne le second.

Le canton demande en effet des mesures de reconstitution du haut marais, avec l’enlèvement d’une couche de 50 cm des remblais sur près de 8000 mètres carrés, puis un apport de tourbe. Un chantier que l’Etat chiffre «très largement et grossièrement à un maximum de 750 000 francs».

«Profiter d’installations illicites»

Pour l’Etat, cette facture n’est pas excessive, les copropriétaires ayant pu profiter de leurs installations illicites durant plus de 25 ans. «Au surplus, Nordwestag (réd: l’ancienne entreprise d’exploitation de tourbe) et Werner Enderli, dont la copropriétaire est l’héritière, ont touché d’importantes sommes d’argent pour la cessation de leur activité d’exploitation de la tourbe», estime le document signé par le conseiller d’Etat Laurent Favre.

Pour les propriétaires, le son de cloche est tout autre. Les activités équestres – dont les écuries sont hors de la zone protégée – ont généré un peu plus de 434 000 francs de bénéfice entre 1995 et 2018. «Ce n’est pas un grand manège. Nous accueillons surtout des chevaux à la retraite», dit Susi Enderli, devant les huit chevaux hébergés aux Ponts. L’argent de Nordwestag? Ils n’en ont jamais vu la couleur. «Au contraire, on ne nous a jamais fait de cadeau», note Sylvain Nussbaumer, en citant le rachat du terrain «au prix du marché» à son beau-père.

La tente et son intérieur: un espace où sont stockées des machines agricoles et un autre où évoluent les chevaux. Photo: Matthieu Henguely

S’ils concèdent «ne pas avoir fait tout juste», car ils n’ont «pas relancé le dossier quand il était au point mort», les Ponliers s’étonnent aussi et surtout de devoir réparer les erreurs de leur prédécesseur, quand bien même celui-ci a déjà été jugé.

En effet, les travaux aujourd’hui mis en cause datent de 1991-1992. A l’époque, Werner Enderli avait été condamné pour ces travaux (tente et remblais) effectués sans permis de construire. Pourtant, aucune remise en état n’avait alors été demandée. «Le remblayage a été fait avec les matériaux de la route cantonale de La Sagne, donc propriété de l’Etat», remarque ironiquement Sylvain Nussbaumer.

«Il est difficile d’expliquer pourquoi les autorités précédentes n’ont pas exigé l’évacuation immédiate des installations. Probablement que cette tolérance a permis d’aboutir plus rapidement à un accord sur l’indemnisation pour l’arrêt de l’exploitation de la tourbe», estime de son côté Patrick Jobin, juriste au DDTE, qui a répondu par écrit aux questions que nous avions adressées au département.

Probablement que cette tolérance a permis d’aboutir plus rapidement à un accord sur l’indemnisation pour l’arrêt de l’exploitation de la tourbe.

Patrick Jobin, juriste au DDTE

Une convention qui ne règle pas tout

Cette convention, signée en 1993 entre le canton et Nordwestag, avait donné confiance à Susi Enderli et Sylvain Nussbaumer quand ils ont repris les lieux en 1995. «Avec ce document, pour nous, la situation était régularisée. On savait que l’on devrait déplacer la tente équestre, mais on ne s’est jamais dit qu’il y aurait un problème avec les terrains. Ils sont d’ailleurs dans l’état dans lequel ils étaient lors de notre achat.»

Les problèmes sont néanmoins arrivés très vite, puisque le canton était alors en train de définir les zones de marais à protéger. La partie ouest de la parcelle 2423 des Ponts-de-Martel y figure bien. Les Enderli-Nussbaumer ont d’abord essayé de la faire retirer, en finançant notamment une étude faite par une géologue vaudoise, afin de montrer que la zone était déjà fortement dégradée. La procédure est allée jusqu’au Tribunal fédéral en 2006.

Le terrain devant la tente a fait l’objet d’un remblayage. Des morceaux de bitume y sont encore visibles. Photo: Matthieu Henguely

«Des bâtons dans les roues»

Durant cette procédure, plusieurs démarches ont été menées pour relocaliser le manège qu’exploite Susi Enderli. Là où le représentant de l’Etat Patrick Jobin note que «les autorités successives ont tenté avec bonne volonté et empathie de déplacer le manège sans ordonner sa démolition pure et simple», Sylvain Nussbaumer estime pour sa part qu’on leur «a toujours mis des bâtons dans les roues».

Un projet est allé jusqu’au dépôt des plans de dézonage en 2002. Il était question de déplacer la place équestre vers l’abattoir, entre la route cantonale et le marais. «A l’époque, on nous a dit que la taille de la zone tampon n’avait pas été fixée et que nous devions attendre», remarque le propriétaire. Les Enderli-Nussbaumer n’ayant pas relancé le projet à temps, il est aujourd’hui totalement mort, l’Etat ayant construit un silo à sel sur ce terrain.

Travaux sans permis en 2016

Les procédures ont repris après une double dénonciation de Pro Natura et de la commune des Ponts-de-Martel en 2016. Les propriétaires de la tente y avaient alors posé un toit en tôle, toujours sans permis de conduire. «Nous avons posé dans l’urgence ce toit en tôle par-dessus la bâche qui se déchirait sous le poids de la neige. Sans travaux, la structure se serait effondrée durant l’hiver», explique Sylvain Nussbaumer.

Depuis, l’association de protection de l’environnement réactive régulièrement le canton afin de faire avancer le dossier. «Nous ne voulons pas d’une situation acquise après la mise en place de la zone de protection», commente le chargé d’affaires Yvan Matthey. Lequel connaît bien le dossier, puisqu’il a géré cette mise en place il y a deux décennies, sur mandat cantonal.

Aujourd’hui, les propriétaires du manège annoncent qu’ils feront opposition. «Dans tous les cas, nous voulons déplacer le manège», disent les copropriétaires. «Nous ne voulons pas le démonter tant que nous n’avons pas de solution de repli.» Des démarches sont en cours en ce sens, afin de le rapatrier la place d’équitation plus près du reste de leurs activités, le long de la route cantonale.

«Nous ne voulons pas d’une situation acquise après la mise en place de la zone de protection.»

Yvan Matthey, Pro Natura

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