Une fois n'est pas coutume, le Temple allemand s'est transformé en Temple romanche le week-end dernier à La Chaux-de-Fonds. En lever de rideau de la saison estivale de l'ABC, la compagnie Eclat y a donné deux représentations de «Giacumbert Nau, l'homme de la Gaglinera»; spectacle âpre, plurilingue et multiforme, adapté d'un brûlot publié en 1988 par l'écrivain grison Leo Tuor. Au c½ur de la fable, un berger solitaire, sorte d'homme-marmotte vivant «aux frontières de la météorologie», dans la haute montagne. Pas franchement sympathique, ce Giacumbert, voire franchement misanthrope A la compagnie des hommes, il préfère celles des bêtes. Aux civilités, il privilégie la haine et le mépris. Symphonie lyrique et patchwork visuel, Giacumbert Nau tient à la fois de la pastorale, du théâtre antique, du théâtre d'objets, de la chorégraphie, de l'opéra et du folklore populaire. Evocation de l'alpage enneigé, la scénographie s'articule autour de toiles blanches, de figurines et de souches de bois. Au fil du spectacle, la planche se fait tour à tour montagne, sentier, cercueil et pale d'hélicoptère. Des lainages et des outils traditionnels complètent la dimension ethnographique de la production, empêchant peut-être l'imaginaire de prendre son plein envol.
Sur scène, un livre à la main, Philippe Minella tient le rôle du narrateur, en français, avec une emphase parfois exagérée. Sa complice Iris Weder met en espace le texte de Tuor par des mouvements lents et habités. Dimension suprême: trois jeunes choristes font résonner la langue romanche dans le temple devenu sommet. L'image la plus forte jaillit lors des saluts, lorsqu'une grand-maman habillée en costume traditionnel quitte sa roue à tisser pour tendre la main à un enfant. La tradition se mue en transmission. Plus qu'un spectacle, c'est peut-être un morceau de culture nationale que les spectateurs - venus nombreux - ont chaleureusement applaudi. Comme un hommage à une culture ancestrale et méconnue qui, avec rage et robustesse, tente de lutter pour sa survie.