Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Libre opinion: nos lecteurs réagissent à l’acte de vandalisme qui a touché la statue de David de Pury

La statue du célèbre personnage maculée de rouge la nuit du 12 au 13 juillet a enflammé les claviers de nos lectrices et lecteurs. Florilège.

18 juil. 2020, 11:00
A l'instar des autorités neuchâteloises, nos lecteurs réagissent aux déprédations dont la statue de David de Pury a été l'objet.

Coupable de tous les malheurs?

Peindre ou déboulonner la statue de David de Pury, n’est-ce pas qu’un geste destiné à se donner bonne conscience, à se laver de toutes les fautes du passé, plutôt que d’assumer l’histoire de toute une région, ainsi que la situation actuelle?

Certes David de Pury est une figure importante dans le rapport entre Neuchâtel et le commerce des esclaves. Il ne faut cependant pas perdre de vue l’ensemble du phénomène.

Ces indiennes sont entre autres échangées en Afrique contre des esclaves. Les fortunes amassées dans ce commerce sont largement à l’origine du développement de Neuchâtel.

Il y a deux ans, le Musée de Neuchâtel a présenté une magnifique exposition sur l’artisanat des indiennes. Au 18e siècle en effet, plusieurs ateliers fabriquant des indiennes sont créés dans la région de Neuchâtel. Ces indiennes sont entre autres échangées en Afrique contre des esclaves. Les fortunes amassées dans ce commerce sont largement à l’origine du développement de Neuchâtel. Il est évidemment important d’assumer son passé! Mais il faut aussi regarder le présent en face: le sort de nombreux Africains est-il beaucoup meilleur aujourd’hui que celui des esclaves d’alors? Les martyrs des geôles libyennes, les noyés en Méditerranée, ceux qui croupissent à Lesbos, ont-ils aujourd’hui un sort plus enviable?

Le commerce qui enrichit aujourd’hui la Suisse est en particulier celui des matières premières. Faut-il que des mineurs meurent dans des mines insalubres, que des régions entières soient polluées, que des paysans chassés de leur terre meurent de faim, que des enfants doivent travailler, pour que les multinationales installées en Suisse encaissent le plus de profits possible et procurent ainsi à la Suisse des emplois et des rentrées fiscales?

Pensons plutôt à David de Pury quand nous voterons cet automne sur l’initiative pour des multinationales responsables!

Dominique Ruta-Robert, Muri bei Bern

En rouge sang
Qui sommes-nous pour oser juger et condamner le comportement de David de Pury, sans avoir approfondi et étudié, sous tous les angles, l’histoire de cette époque-là?

Et nous? Ne sommes-nous pas aussi des «esclavagistes», sous une autre forme, en nous procurant dans nos grands magasins et boutiques des T-shirts, des vêtements, ainsi que des baskets et bien d’autres objets, à des prix honteusement bas, voire dérisoires. N’exploitons-nous pas consciemment de pauvres peuples en Asie en ce qui concerne les textiles surtout, et en Amérique du Sud pour les minéraux? C’est ainsi que nous contribuons, voire provoquons, la pauvreté et la misère de peuples entiers.

Peut-être que nos descendants nous jugeront aussi un jour, sévèrement, pour ces faits-là, en versant des bidons de peinture rouge sang sur nos tombes…

Erika R.-M. Junod, La Chaux-de-Fonds

Foutez la paix à David de Pury et combattez le racisme ici et maintenant

Quelle idiotie de s’en prendre à cette statue! Le grand David d’Angers qui l’a sculptée n’était pas esclavagiste à ce qu’on en sait. David de Pury, lui-même – qui utilisa un système accepté à son époque – non plus. Gare aux intégristes, inconscients, ignorants, qui refont l’histoire!

Va-t-on bientôt réclamer l’autodafé des livres de Voltaire parce que le défenseur de Jean Calas profita pareillement d’un commerce qui ne s’avéra véritablement condamnable que des décennies plus tard? En poussant le bouchon plus loin, va-t-on reprocher à Jésus Christ de n’avoir pas condamné nommément l’institution de l’esclavage?

Une pétition peut circuler, elle ne représentera pas l’avis général. Si la question était posée à l’ensemble du corps électoral, je serais prêt à parier que quatre personnes sur cinq, au moins, refuseraient qu’on se dédouane de nos responsabilités actuelles par l’ostracisme facile d’un splendide monument, témoin d’un legs intelligent à défaut d’avoir été expiatoire.

Contentez-vous donc d’étudier «le cas de Pury» autant qu’il est possible et proposez, en attendant, d’adjoindre un texte explicatif au pied de la statue… Mais surtout n’en restez pas là!

Mobilisez-vous contre l’injustice, contre l’indifférence, ici et maintenant! De temps en temps invitez, par exemple, un demandeur d’asile, un étranger, pour un repas, pour un dimanche après-midi avec vous. Il y a tant de façons d’agir efficacement contre le racisme, contre l’exclusion, vous le savez bien!

Mais il ne sert pas à grand-chose de faire frétiller les médias. Les mentalités sont à changer? Attelez-vous donc à des tâches d’humanité qui éveilleront les consciences. Vous serez bien mieux entendus, compris, soutenus par la population qu’après avoir balancé vos tristes bidons rouges d’une colère mal maîtrisée.

Philippe Graef, Neuchâtel

Ce qui se fait actuellement est pire que le passé lourd de David

A chacun son histoire et je ne suis pas historien. Ma préoccupation est que les jeunes Noirs aussi puissent bénéficier aussi des erreurs du passé, surtout en ce moment où tout le monde veut se faire une bonne réputation du point de vue des droits humains. Je trouve que ce qui se fait actuellement est pire que le passé lourd de David de Pury. A celui-ci, je peux encore pardonner, il n’y avait pas assez d’éléments à cette époque pour réaliser que l’esclavage est un délit.

J’estime que le canton, jusqu’à présent, ne joue pas vraiment son rôle de reconnaissance vis-à-vis de l’histoire de l’homme noir qui peine à trouver sa place dans le monde du travail. L’image de l’homme noir fainéant doit cesser, aussi parce que les Noirs esclaves ont démontré par le passé qu’ils ont contribué au financement et au développement d’une prospérité.

Je reconnais que je me sens à l’aise ici, je peux dire ce que je pense contrairement à la jungle congolaise où toute critique pour l’avancement est considérée comme un arrêt de mort. Voilà nous ne sommes pas parfaits, mais la liberté d’expression en Suisse restera gravée comme une des valeurs universelles de mon séjour sur cette planète.

Njo Moubiala, Peseux

Quand la statue cache le monument

La lutte contre le racisme a réveillé la mémoire de l’esclavagisme, l’englobant dans une même condamnation et entraînant la destruction, le barbouillage ou le retrait de statues en diverses villes d’Amérique et d’Europe. Un débat foisonnant s’est engagé à ce propos, notamment à Neuchâtel autour de la statue de David de Pury, sur la place du même nom, récemment vandalisée. Il mêle des arguments moraux, politiques, juridiques et historiques. Les soussignés demandent qu’on les entende également par ce qui relève de leur discipline, la conservation des monuments.

Une statue n’est pas qu’une figure dressée sur un socle. Elle est le centre d’un jeu complexe d’interactions spatiales et sociales. Elle polarise une place, un carrefour, une rue. Elle préside symboliquement à nombre d’activités humaines: travail et flânerie, échanges et rencontres, rassemblements et manifestations. Dans cette perspective, nous comprenons que le «monument» n’est pas seulement l’effigie de bronze ou de marbre sur son piédestal, mais l’ensemble formé par la statue, le lieu qui l’entoure, et les usages sociaux longuement élaborés par les citadins et visiteurs de nos villes.

Ces monuments-là constituent un patrimoine public. A ce titre, ils reçoivent la protection de la loi ainsi que les soins professionnels de leurs conservateurs de la protection du patrimoine (Denkmalpflege). Ces spécialistes savent que la configuration des lieux urbains et la fonction des monuments ne sont pas figées, elles évoluent. Mais ils s’efforcent de maintenir l’intégralité de leurs significations, si complexes voire contradictoires qu’elles paraissent. Un monument n’est pas une pièce de Lego que l’on peut bouger à loisir, ou remettre dans sa boîte.

La préservation de nos monuments relève, elle aussi, du devoir de mémoire, et de la nécessité de transmettre aux générations futures les témoins d’un passé pleinement assumé.

Elisabeth Crettaz-Stürzel, Fribourg, et Gaétan Cassina, Vétroz

Le rouge de l’ignorance

La traite négrière de 42 millions d’Africains, décrite comme étant le pur produit du racisme et de l’esclavagisme des Blancs, a été promue essentiellement, dès le 7e siècle, par des Africains et des Musulmans.

La plus grande partie des esclaves furent capturées, lors de razzias ou au gré de guerres tribales, par des négriers africains; les Blancs ne pouvant pas pénétrer le continent avant le début du 19e siècle. Les captifs étaient fournis, sur ordre de différents potentats avides d’armes et de produits manufacturés européens, à des comptoirs situés sur les côtes africaines où se déroulait l’essentiel des échanges.

En admettant un ratio de 1 à 10 entre les négriers nécessaires à la razzia, au gardiennage, au convoyage et à l’intendance des esclaves, au moins 4 millions d’Africains auraient dû être impliqués à divers titres dans la traite négrière! Ainsi, la plupart des personnes d’origine africaine vivantes actuellement ont une probabilité de compter un négrier parmi leurs ancêtres! Cela devrait inciter chacun à plus de retenue lors de manifestations, toujours persuadé qu’il n’y a de racistes et d’esclavagistes que les Blancs!

David de Pury n’était pas blanc-bleu, mais barbouiller sa statue est risible au regard des racismes et esclavagismes à combattre aujourd’hui, ceux, entre autres, des Hutus et Tutsis en République démocaratique du Congo, qui financent leurs guerres grâce l’extraction du Coltan par leurs esclaves. Nos portables sont de plus en plus dégoulinants de sang! A prendre en considération avant de faire du barbouillage et des génuflexions.

Augustin Skrapits, Le Locle

Votre publicité ici avec IMPACT_medias