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Le bouquetin des Alpes n’est pas forcément tiré d’affaires

Le bouquetin des Alpes n’est plus une espèce menacée, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature. Un avis qui n’est pas partagé par un chercheur de l’Université de Neuchâtel. Ce constat ne prendrait pas en compte les risques d’ordre génétique.

21 févr. 2020, 12:31
Sauvé, le bouquetin des Alpes?

Si le bouquetin des Alpes n’est plus menacé d’extinction, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, il n’est pas pour autant tiré d’affaires, relève l’Université de Neuchâtel. Les risques sont d’ordre génétiques.

«On ne peut écarter le risque d’extinction en se basant uniquement sur un nombre minimal d’individus censés suffire à perpétuer l’espèce», estiment des biologistes de l’Université de Neuchâtel (Unine). Des mutations délétères des gènes et un manque de diversité génétique mettent en danger les bouquetins. Ces recherches ont paru dans la revue «Nature Communications» de vendredi.

La population de bouquetins s’est réduite depuis le Moyen Age pour arriver à une centaine d’individus recensés au 19e siècle dans la réserve de chasse privée du roi d’Italie Victor-Emmanuel II. L’espèce a pu être ensuite réintroduite pour compter actuellement environ 50 000 individus répartis sur tout l’arc alpin.

Dans le canton de Neuchâtel, un premier lâcher de huit mâles et six femelles avait été effectué entre 1965 et 1970. Un deuxième a été réalisé en 2005. Le nombre de bouquetins, se trouvant principalement au Creux-du-Van, est évalué entre 25 et 30 individus.

Notre étude démontre qu’au niveau génétique, l’histoire est bien plus compliquée et que la conclusion mérite d’être relativisée.
Daniel Croll, directeur du Laboratoire de génétique évolutive de l’Unine

La menace des mutations délétères

«Bien que ce chiffre soit considéré comme un succès sans précédent dans la conservation des espèces, notre étude démontre qu’au niveau génétique, l’histoire est bien plus compliquée et que la conclusion mérite d’être relativisée», explique le professeur Daniel Croll, directeur du Laboratoire de génétique évolutive de l’Unine.

En effet, chaque espèce animale porte des mutations dans le génome dites délétères. Ces mutations néfastes sont souvent à l’origine des maladies congénitales, héritées des parents. Au cours des générations successives, une espèce parvient en général à limiter le nombre de ces mutations, un processus appelé contre-sélection.

«Nous démontrons qu’une accumulation de mutations délétères met effectivement en danger d’extinction les bouquetins des Alpes, bien que les effectifs comptabilisés à l’heure actuelle suggèrent le contraire. Car, avec la chute à 100 individus il y a 150 ans, l’espèce a augmenté très considérablement la charge des mutations délétères.»

50 000
Le nombre de bouquetins des Alpes répartis sur tout l’arc alpin.

Au moins 1000 individus nécessaires

De plus, les bouquetins ont perdu la quasi-totalité de leur diversité génétique, que même un retour de la population à 50 000 individus ne rétablit pas. Or, la perte de diversité génétique peut rendre une espèce particulièrement vulnérable aux maladies. Tel fut le cas d’une épidémie de brucellose en France, une maladie bactérienne qui, en 2012, a conduit à l’abattage de plus de 200 bouquetins, décimant le cheptel dans la région du Grand-Bornand (Haute-Savoie).

L’origine des mutations délétères est liée au mode de réintroduction des bouquetins. Il y a une centaine d’années, des Suisses ont introduit un tout petit nombre de bouquetins dans des zoos, puis dans la nature. Dès qu’une population atteignait une certaine taille, on en extrayait des individus pour fonder de nouvelles populations.

«Cette stratégie de recolonisation a globalement induit une accumulation de mutations délétères», ont observé les chercheurs. «Nous avons toutefois aussi relevé que les bouquetins ont quand même réussi à éliminer les mutations les plus sévères grâce à un mécanisme qui s’appelle la purge. Ce phénomène était connu en théorie, mais il manquait une démonstration empirique.»

Sauvegarde d’autres espèces

Les conclusions de cette étude sont valables pour la sauvegarde et le monitoring d’autres espèces en danger, comme le gorille des montagnes, le tigre sibérien, le lynx ibérique ou encore le panda géant. En prenant en compte le risque d’accumulation des mutations délétères, Daniel Croll et ses collègues postulent que pour assurer la survie d’une espèce comme le bouquetin des Alpes, la population ne doit jamais s’abaisser en dessous du seuil des 1000 individus au cours de son évolution.

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