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Quand resurgissent les fantômes

26 avr. 2011, 07:47

Son regard aux reflets de cerise noire n'est pas sans rappeler celui de Cécile, l'une des héroïnes de son dernier roman, «Une aïeule libertine» aux éditions Luce Wilquin. Et bien qu'elle soit pétrie de la même élégance fantasque et fascinante que sa créature de papier, Claudine Houriet ne cède en rien ici aux sirènes parfois pompeuses et indulgentes de l'autobiographie. Citant Roland Barthes, l'auteure de Tramelan annonce illico la couleur: «En littérature, il faut donner l'intime, pas le privé.»

Les lecteurs iconoclastes friands de ragots tramelots passeront leur chemin... Qu'ils cèdent donc la place aux amoureux des beaux mots aimant à se laisser embarquer en de folles épopées! Ceux-ci se laisseront volontiers prendre par la main par une Claudine Houriet au meilleur de sa créativité littéraire, à tel point qu'ils en redemanderont une fois refermées les 288 pages de ce roman passionnant et passionné.

Si elle n'est en rien autobiographique, cette aïeule libertine puise en revanche sa source dans les racines familiales de l'auteure. «Visitant il y a quelque temps l'ancienne maison de mon grand-père maternel, dont les somptueux parquets sont aujourd'hui dissimulés sous le linoléum, le souvenir de conversations entendues lorsque j'étais enfant entre ma maman et ses frères et sœurs a resurgi», narre Claudine Houriet. «Dans cette demeure qui avait perdu son faste d'antan sont soudain apparus les fantômes du passé... J'ai senti une ombre m'effleurer et je me suis souvenue d'une de mes grands-tantes, que j'avais brièvement croisée étant enfant.»

Née au début du siècle, la tante Jeanne travaillera quelque temps comme préceptrice dans une riche famille, en Russie. «Je ne sais quasi rien de plus la concernant, sinon qu'elle était rebelle et artiste», poursuit l'écrivain. «Je me suis dit que je tenais là un beau personnage et que j'allais lui réinventer un destin... J'espère que ma tante Jeanne ne se retourne pas dans sa tombe!»

De chair et de sang

La fiction prenant rapidement le pas sur la réalité, le personnage de Cécile apparaît, entraînant à sa suite de nouvelles créatures comme Sandra, sa petite-nièce, et le cousin Gilbert. «Au début du processus créatif, mes personnages ne sont que des ombres floues. Je ne commence pas à écrire avant qu'ils aient pris chair, que je vive avec eux comme s'ils faisaient partie de la famille. J'aime les convoquer lors de longues marches dans la nature... Les idées me viennent aussi dans le train.»

Ne se départissant jamais d'un bloc de papier, d'un crayon et d'une gomme, Claudine Houriet tisse à coups d'esquisses la trame de ses écrits. «Il est un stade où les personnages vous emportent. La fin de ce roman-ci m'est apparue très clairement bien avant que je n'aie fini de l'écrire, un jour où j'ai aperçu un églantier couvert de fruits flamboyants au milieu d'un jardin abandonné. J'ai immédiatement su que cette métaphore collerait à merveille à mes héroïnes.»

Outre son style impeccable, la force de Claudine Houriet réside sans conteste dans sa faculté à rendre immédiatement ses personnages attachants. Dès les premières pages, le lecteur se prend d'amitié pour Sandra, journaliste célibataire tentant de noyer sa solitude dans le travail. Sa quête d'une mystérieuse grand-tante depuis longtemps disparue l'emmènera bien plus loin que prévu, en des contrées amoureuses sur lesquelles elle pensait avoir tiré un trait.

Mais, des limbes de l'au-delà, son aïeule Cécile ne voit pas d'un si bon œil le soudain intérêt que lui porte cette petite-nièce bien ancrée dans le 21e siècle. «On devrait empêcher les vivants de déranger les morts», grommelle l'ancêtre fantasque, que la perspective de renouer malgré elle avec les affres de sa vie passée n'enchante guère. Pourtant, petit à petit, celle qui fut une jeune femme aussi éblouissante que douée se prend de tendresse pour sa descendante et renoue avec les émotions terrestres. «Les vies de Cécile et Sandra ont de nombreuses similitudes; toutes deux ont vécu des amours qui les ont brisées», révèle l'auteur, qui nous emmène des bords du Léman à la Russie d'avant la Révolution. IGR

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