Commerce d'échardes à Charm el-Cheikh

Ils saluent notre départ aux aurores, après avoir porté nos valises dans les soutes à bagages des autocars en partance pour l'aéroport. Ils sont là en rang d'oignon, les deux jeunes femmes et les trois hommes à tout faire de l'hôtel, un large sourire plaqué sur le visage, malgré les paupières lourdes de sommeil. Bravant l'infortune, dévoués, ils triment jour et nuit pour des clopinettes dans le secret espoir de se faire quelque mince pourboire en extra.

Mais alors que la plupart des estivants feignent d'ignorer les us domestiques, il se trouve quand même quelques magnanimes touristes pour se fendre d'une dérisoire obole. Ce navrant manège nous désole, ma copine Caroline et moi. Voulant évacuer notre gêne plus qu'autre chose, certainement par facilité et non par générosité ostentatoire, nous décidons de nous délester du reliquat en devises du pays au bénéfice des employés. Ce qui n'eut pas l'heur de plaire à un couple de beaufs pas cool du tout.

Elle, ronchonne, boudinée dans des leggins indécents, devait certainement être mannequin chez Feldschlösschen: «Engraissez-les encore! Vous trouvez qu'on n'a pas été assez rançonnés?»

Lui, si ce n'était sa vindicte, aurait pu détrôner haut la main le jovial bonhomme Michelin: «Ouais, allez-y, allez-y... encouragez le racket...»

Caroline, atterrée, ne répondit pas aux balourds. Adoptant une attitude zen que je ne lui connaissais pas, elle se réfugia dans un mutisme total jusqu'à notre retour à Genève.