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«Vous appelez ça de l'art, vous?»

Deuxième volet aujourd'hui des extraits de la chronique de Jean-Marie Reber, dont le livre, «La vie de château», paraîtra ce printemps. L'auteur, qui prendra sa retraite après 28 ans à la tête de la chancellerie d'Etat, nous plonge dans «Un monde à part». Traduire: l'administration cantonale.

30 janv. 2009, 08:59

«Bien qu'ayant été l'un des fossoyeurs de cette époque à la fois si proche et si lointaine, lorsque j'y pense, j'avoue que c'est avec une certaine nostalgie. C'est que le temps qui passe filtre les souvenirs pour n'en fixer que les aspects les plus drôles ou les plus tendres.

Je ne peux ainsi que sourire en me remémorant un personnage qui avait pourtant le don de m'horripiler au plus haut point au début des années 1980. A cette époque sévissait un certain M., aide-concierge de son état. Par temps frais, il travaillait en salopette, ce qui pouvait convenir pour un employé censé faire du nettoyage. Mais dès les beaux jours, M. revêtait sa tenue d'été qui consistait en une chemise de corps sans manches, un short qui mettait en évidence des jambes maigrelettes et variqueuses et enfin des sandales ouvertes. Doté d'un physique, disons peu avantageux pour adopter un langage politiquement correct, M. se tenait souvent sous le porche d'entrée de la cour, accueillant les visiteurs avec des aboiements complètement incompréhensibles pour des francophones, anglophones ou germanophones. Le service des visites guidées n'avait alors pas encore été mis sur pied et c'était le concierge-chef qui se chargeait de conduire, de temps à autre, une visite dans les salles libres. Amateur d'histoire, il s'acquittait de cette tâche à la satisfaction générale. Mais il advint que M., suivant l'exemple de son chef absent, s'improvisa guide à l'occasion. Il advint qu'un conseiller d'Etat, découvrant par hasard la chose, se glissa dans un groupe de touristes sans être repéré par ce guide de circonstance. La visite s'avéra surprenante pour le visiteur - membre du gouvernement qui faillit s'étrangler en entendant les repères historiques sans queue ni tête servis aux touristes et les commentaires qui les accompagnaient. Au sujet des œuvres d'art modernes accrochées aux cimaises du Château, cela donnait quelque chose de ce genre: «Vous voyez ces trucs-là ? Vous appelez cela de l'art? Moi pas! Mais c'est tout ce qu'ils ont trouvé pour foutre notre argent en l'air, les guignols qui nous gouvernent.»

A la décharge de M., les touristes ne comprenaient pas le quart de ses propos lancés en saccades déroutantes. Il n'en demeure pas moins que sa carrière de guide s'arrêta là. Celle d'aide-concierge au Château se poursuivit encore quelques années avant qu'il ne soit transféré dans un bâtiment moins emblématique et moins fréquenté par le public. Pendant cette période, il ne se priva pas de se plaindre en toute occasion du pouvoir en place. Notamment le 1er avril, lorsque quelques collègues facétieux mettaient dans la fontaine de la cour des poissons rouges et lui transmettaient l'ordre du Conseil d'Etat de les pêcher.

Il fallait entendre ce pauvre M., canne à pêche et épuisette à la main, apostropher toutes les personnes qui traversaient la cour: Vous êtes témoins de ce qu'ils me font faire, ces cons-là. Ils ne savent plus quoi inventer….»

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