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Témoigner quand il ne reste rien à voir

04 juin 2011, 07:47

Oublier la tragédie? Impossible pour qui travaille sur la mémoire collective! Cette évidence s'impose rapidement à Maude Reitz. Etudiante en lettres et ethnologie à l'Université de Neuchâtel, la jeune femme décide de se rendre à Tchernobyl pour son mémoire de fin d'études. C'est en 2008 qu'elle entreprend ce voyage qui la fera rester cinq mois à Kiev, capitale de l'Ukraine, et dans les environs de la zone interdite de Tchernobyl. Tout cela remonte bien avant la catastrophe de Fukushima, au Japon. De même que la parution de son récit, dans la revue Ethnoscope, publiée par l'Institut d'ethnologie de l'Université de Neuchâtel, précède de quelques jours le drame nippon.

Visites guidées

«J'ai décidé de me lancer sur ce terrain étrange où personne ne vit après avoir lu la BD «Le Sarcophage», qui place un musée des horreurs du XXe siècle exactement à Tchernobyl», indique Maude Reitz. L'angle choisi pour son travail de mémoire consacre le traitement de la mémoire. Partie les mains dans les poches, ou presque, l'étudiante alors âgée de 24 ans s'inscrit, - comme les près de 5000 visiteurs par an - auprès de l'agence officielle Tchernobyl Interinform pour visiter le site interdit. «En fait, je brûlais d'envie de recueillir des témoignages, mais mes interlocuteurs se montraient peu loquaces. Ils préféraient me parler de politique.» Sur le site, on lui demande juste de ne pas marcher dans les hautes herbes et de ne pas remuer la poussière. «En approchant de la centrale j'ai été frappée par le nombre d'ouvriers qui travaillaient encore dans les installations nucléaires.»

L'échelle du temps

Le tour inclut la visite de Pripyat, à 3 km de la centrale. Une cité moderne de 50 000 habitants, destinée aux familles des ouvriers de Tchernobyl. «Cette ville s'effondre peu à peu, elle est au bord de la disparition. Il était important de la fixer dans le temps. Mais tout était illisible pour moi. J'ai eu besoin de refaire la visite avec quelqu'un du lieu.» Maude Reitz se fera accompagner par l'un des «liquidateurs» de la centrale. «Lui m'a raconté sa vie sur place. Nous avons visité son ancien appartement, l'école, la piscine, etc.»

Ces visites se révéleront bien plus perturbantes que ne l'aurait imaginé l'étudiante. «La confrontation à ce lieu, où la vie s'est arrêtée d'un coup, m'a rappelé la difficulté de retranscrire un événement passé. Il m'a fallu un an pour digérer puis écrire ce que j'ai vu», explique-t-elle, en tirant ce constat provocateur: «Je n'ai rien vu de Tchernobyl!»

A Kiev, l'ethnologue hante aussi les couloirs du Musée Tchernobyl qui est dédié aux «liquidateurs». «La scénographie raconte la catastrophe, mais également, en creux, le rapport des Ukrainiens avec le pouvoir soviétique; c'est très intéressant.»

Ce mémoire, Maude Reitz ne le considère pas juste comme un travail de fin d'études, ni comme une prise de position politique sur l'énergie nucléaire. Il s'agit pour elle d'un questionnement philosophique sur le rapport à la mémoire. Néanmoins, «cette mise en lumière butte sur l'échelle du temps: on ne sait pas comment en parler puisque l'événement est encore en activité, il continue de provoquer des morts!»

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