«On a l’impression de vivre un éternel recommencement.» Il est presque 23h ce samedi 26 décembre. Les clients de l’Auberge du chasseur, à Fenin, s’en vont par petites grappes, repus de leur dernier bistrot à la sauce 2020. Une année noire pour le milieu de la restauration, qui s’achève durement avec cette troisième fermeture forcée, Covid oblige.

Avant que la lumière ne s’éteigne, un couple est venu donner un peu de courage à Sonny et Maria Salih, tenanciers des lieux depuis bientôt dix ans. Ils n’étaient pas les seuls à leur mettre un peu de baume au cœur ce soir-là. Le restaurant affichait complet et beaucoup avaient fait le déplacement pour apporter une dernière fois leur soutien. On les comprend, les époux ont le sens de l’accueil et du commerce. Mais il y a autre chose: aller au bistrot est désormais devenu un acte quasi militant pour de nombreux Neuchâtelois.

Le sentiment d’acharnement à l’encontre de cette branche a souvent été évoqué lors des discussions grappillées aux différentes tablées. Comme ce couple qui perçoit une injustice entre l’ouverture des pistes de ski et la fermeture des restos. Beaucoup estiment qu’avec les mesures misent en place par les bistrotiers, le risque d’attraper le virus lors de ces moments de convivialité est mineur, en comparaison du cadre privé.

Jean-David et Christine ont réservé bien à l’avance pour venir soutenir les restaurateurs samedi soir. Photo: Christian Galley

«L’ambiance s’est tendue»

«Après à peine quinze jours de travail, nous sommes forcément déçus de cette nouvelle fermeture, d’autant que l’on a fait notre maximum depuis la réouverture en mai, en portant déjà le masque alors que ce n’était pas encore obligatoire», souligne Anthony Jean, désemparé. Lui et sa compagne Céline Darnaud travaillent au service depuis plusieurs années et vivent mal cette incertitude devenue quotidienne.

Ils commencent à craindre pour leur avenir: si les fermetures continuent à s’enchaîner, ils sont conscients que leurs patrons ne pourront peut-être pas garder tous les membres de l’équipe. Tous deux s’inquiètent aussi beaucoup pour Sonny et Maria Salih, en très grande souffrance.

«Cette situation affecte toute ma vie et mes relations. Je ne suis plus le même auprès de mes employés, de mes amis, de ma famille», confie Sonny Salih. «L’ambiance s’est tendue au travail, il y a une plus grande nervosité, alors que nous avons toujours bien fonctionné en équipe», abonde son épouse.

Anthony Jean, serveur depuis neuf ans à l’Auberge du chasseur. Photo: Christian Galley

Fermeture lourde de conséquence

Patrons et employés se souviennent d’une dernière période de fermeture très compliquée. Le restaurant réalise près de la moitié de son chiffre d’affaires à l’automne, surtout au mois de novembre avec les spécialités de chasse. «C’est une année perdue», glisse le boss. Les repas encore livrés ou servis à emporter ces prochaines semaines n’y changeront rien.

Financièrement, les tenanciers ont encore de quoi tenir le coup pendant plusieurs mois. Ils misent sur l’argent patiemment mis de côté depuis la reprise de l’établissement. Les époux n’ont pas pris le risque de contracter un prêt Covid au printemps, et n’ont toujours pas reçu un centime de l’assurance perte de gain. A terme, ils espèrent qu’ils recevront une aide qui leur permettra de payer leurs charges fixes sereinement.

Sonny et Maria Salih s’inquiètent surtout pour leurs confrères qui ont moins d’économies qu’eux et prient pour que les aides arrivent avant qu’ils doivent mettre la clef sous la porte.

Va-t-on pouvoir rouvrir après le 22 janvier? Pendant combien de temps? Je n’en sais rien. Ce soir, je vais fermer la porte du restaurant. Et puis après, ce sera le vide.

Sonny Salih, patron de l’Auberge du chasseur, à Fenin

«Ce sera le vide»

«Sauver des vies sera toujours une priorité absolue, nous sommes humains avant tout», soutient Sonny Salih. Mais le sentiment d’abandon par les autorités fédérales est grand. «On a l’impression d’être des pestiférés, des boucs émissaires», complète Maria. Une remarque récemment lâchée par un client l’a laissée sans voix. «Il espérait que l’Etat ne nous verse pas trop d’aides, par peur que les impôts augmentent. Au fond, tout ce que nous demandons, c’est de pouvoir travailler.»

L’imposant bonhomme est tout à coup submergé par l’émotion. «Quand je suis arrivé en Suisse après avoir fui la guerre il y a trente ans, je n’avais rien. Ce pays m’a tout donné. J’ai pu réaliser mon rêve et avoir ce restaurant aujourd’hui avec plusieurs employés. J’espère ne pas avoir à perdre tout ce que j’ai construit», confie l’homme d’origine macédonienne.

«Va-t-on pouvoir rouvrir après le 22 janvier? Pendant combien de temps? Je n’en sais rien. Ce soir, je vais fermer la porte du restaurant. Et puis après, ce sera le vide.»

Maria et Sonny Salih, patrons de l’Auberge du chasseur, photographiés à la fin de leur dernier service de l’année samedi soir. Photo: Christian Galley

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