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Notre lait bio se transforme essentiellement en fromage… non bio

La production laitière bio neuchâteloise n’est pas nécessairement valorisée comme telle. Exemple à La Brévine, où un producteur le vend à une filière fromagère traditionnelle.

19 nov. 2019, 06:00
Quelque 40000 bovins, dont 14000 vaches laitières, paissent dans les prairies neuchâteloises.

Quarante mille: c’est le nombre de bovins présents sur les 26000 hectares d’herbages neuchâtelois. Sur ce nombre, 14000 vaches paissent sur des prairies et pâturages dédiés à la production laitière. Un lait qui est commercialisé, pour moitié, directement en produit de consommation et pour moitié en fromage, principalement en gruyère AOP (92%) et en gruyère AOP bio (4%).

Lors d’une lactation, une vache produit environ 6’500 kilos de lait. «En raison des conditions du cahier des charges bio qui limite les apports alimentaires de graines de céréales ou de pois, la production de lait bio est un peu moindre», précise Yann Huguelit, directeur de la Chambre neuchâteloise d’agriculture et de viticulture (Cnav). Mais dans tous les cas, le foin et l’herbe fraîche représentent les 85% de leur alimentation.

Question d’autonomie

Dans les hauteurs du canton de Neuchâtel, les techniques de production herbagère biologiques et conventionnelles sont très similaires. La différence essentielle, pour cette deuxième catégorie, réside dans la possibilité d’utiliser ponctuellement des produits chimiques «pour contrer, plante par plante, la pousse de chardon ou de rumex dans les champs où paissent les vaches», explique Christophe Simon-Vermot, qui possède un domaine à La Chaux-du-Milieu. Le cahier des charges bio, lui, l’interdit.

«Lorsque la situation le permet, je préfère toutefois arracher la plante envahissante à la pioche plutôt que d’utiliser un produit», précise cependant l’agriculteur. Seconde différence: les cultivateurs conventionnels ont le droit de répandre sur les prairies des engrais du commerce contenant de l’azote, du phosphore et de la potasse, en plus des fumures, «produites à 95% sur mon domaine.»

L’exploitation de Christophe Simon-Vermot est ainsi parfaitement autonome. Depuis quelques jours, sa trentaine de vaches et sa quarantaine de génisses sont encréchées. Au cours des prochains mois, elles seront nourries à l’étable grâce au fourrage récolté deux fois par année et stocké au séchoir. Le reste de l’année, vaches et génisses paissent dans des pâturages boisés et prés de fauche, «sauf en cas de forte pluie, afin d’éviter que leur piétinement sur la terre gorgée d’eau ne massacre tout», souligne l’agriculteur.

Pas de fromage bio à La Brévine

A La Chatagne, Léo Blättler et son fils Tony, agriculteurs biologiques depuis 2011, n’ont pas encore atteint l’autonomie dont ils rêvent, en matière d’affouragement. «Nous sommes actuellement à environ 96% d’autonomie. Les 4% restants proviennent de concentrés de céréales et de protéines certifiés bio du commerce, qui coûtent environ 30% plus cher que les concentrés conventionnels.» Dès le 1er janvier 2022, ces concentrés devront par ailleurs être produits en Suisse. 

Dans l’objectif de réduire le pourcentage de concentrés alimentaires achetés, Tony Blättler a semé 1,3 hectare de luzerne au printemps dernier. «Il s’agit d’un essai dont nous pourrons évaluer la réussite dans deux ou trois ans», estime Léo Blättler. 

Qu’en est-il du lait produit? Deux fois par jour, Léo Blättler et Christophe Simon-Vermot vont le couler à la fromagerie de La Brévine, en totalité pour le premier, partiellement pour le second, qui livre la majorité de sa production à la fromagerie des Chaux, à La Chaux-du-Milieu. Pourtant, la fromagerie de La Brévine ne produit pas de fromage bio!

«Un volume suffisant»

Une situation peu logique, mais qui se justifie, selon le directeur de la Cnav: «Pour valoriser du lait bio, il est nécessaire d’en couler un volume suffisant, de manière à prévoir une cuve spécifique dans une chaîne de réception séparée. Cinq ou six producteurs devraient donc se convertir en bio, de même qu’un fromager devrait être prêt à gérer les flux de manière compartimentée, ce qui conduit à plus de travail.» A l’heure actuelle, le canton de Neuchâtel ne compte qu’une seule fromagerie à la fois bio et traditionnelle, à Cernier. 

Deuxième critère d’importance, l’état du marché: les consommateurs sont-ils demandeurs de fromage bio et sont-ils prêts à en payer le prix? «Ce n’est qu’une fois l’ensemble de ces éléments réunis que l’on peut entrevoir de nouvelles perspectives, estime Yann Huguelit. Imposer une production biologique sans plus-value sur le produit en matière de prix, n’est pas forcément un avantage pour l’agriculture.»

Changements en vue

Si Léo Blättler ressent une certaine frustration de ne pas voir son lait bio valorisé dans la production d’un fromage également bio, il se console avec deux constats: «D’une part, le prix du lait bio non transformé en fromage, mais commercialisé en lait de consommation, est inférieur à celui que nous obtenons dans la filière fromagère. D’autre part, étant membre de la coopérative de la fromagerie de La Brévine, nous devons lui livrer une certaine quantité de lait pour lui permettre de tourner.» 

Dans un proche avenir, la situation pourrait toutefois changer, glisse Léo Blättler: «Un fromager de la région ayant annoncé son intérêt de valoriser du lait en gruyère AOP bio, l’interprofession doit se prononcer au cours de ces prochains jours. Nous attendons sa décision en croisant les doigts!» 

Anthea Estoppey

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