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Les nouvelles d’été de nos lecteurs

Vous êtes près d’une trentaine à nous avoir fait parvenir vos nouvelles de l’été. Découvrez les trois histoires choisies par le jury, composé de membres de la rédaction d’ArcInfo.

10 août 2019, 05:30
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Voyages pluriels
Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour vivre des vacances de rêve. C’est ce que se sont dit les membres du jury d’«ArcInfo» à la lecture des nouvelles d’été de ses lecteurs. Sur la trentaine de textes reçus, une bonne moitié se déroule dans les Alpes ou carrément dans le canton de Neuchâtel. On y lit un appel à la nature, un goût pour l’authenticité. Les voyages de ces auteurs d’un jour se veulent aussi introspectifs, voire oniriques; les aventures rêvées sur une chaise longue étaient ainsi légion!
Finalement, le jury a retenu trois récits aux trames originales. La poésie et la liberté de ton du texte d’Etienne Montandon ont séduit, tout comme l’élégance de l’escapade parisienne de Daniel Devaud. L’ancrage local et l’humour distillé par la nouvelle de Claude-François Robert ont également fait mouche. Les gagnants se partageront des bons de 300, 200 et 100 francs chez Payot Libraire.

1/ J’ai rencontré l’existence

Par Etienne Montandon, La Chaux-de-Fonds.

«Vous êtes sorti de votre travail et ensuite, qu’avez-vous fait? Pourquoi garder le silence? Il est important que nous le sachions, c’est important pour vous, pour votre santé mentale. Pendant trois semaines, le monde a perdu votre trace. Aucune nouvelle, aucune dépense, aucune frontière. Vous avez disparu, pfft! Et vous voudriez revenir sans nous rendre de comptes? Nous avons eu peur pour vous, Monsieur L. Vous êtes important, Monsieur L., plus que vous ne pouvez le penser. Votre silence est infantile et nous ne pouvons pas garantir votre sécurité. Les médias sont sur le coup, une agence de détectives privés a proposé de s’occuper de votre cas gratuitement! Vous êtes une vedette, que vous le vouliez ou non. Nous voulons votre bien, croyez-le ou non; nous désirons comprendre pourquoi vous vous êtes évaporé. C’est important, c’est primordial.»

J’ai regardé le bonhomme au visage impeccable, son nez pointu, ses lèvres pincées me pinçaient, son regard troublé me troublait. Mes pensées vagabondes cherchent à se coordonner. J’avais froid, j’avais faim, mais les mots ne sortaient pas, je restais enfermé à l’intérieur d’une prison alors que je resplendissais de joie.

Pendant trois semaines, je n’ai rien fait qu’ils puissent comprendre. J’ai regardé les étoiles la nuit, les nuages le jour. J’ai côtoyé les arbres, les rivières et les lacs. J’ai surveillé les fleurs et caressé les chemins. J’ai enlevé mes habits, cassé mes lunettes, je n’ai rien possédé que du temps qui passe.

Comment expliquer à cet homme revêche que le pont s’est brisé après mon passage, que je ne me souviens que d’un rêve éveillé? De fugitives rencontres et de nombreux repas partagés et rieurs. Et des femmes, des beautés. Et encore…

Le babil guilleret d’oiseaux tout petits, d’un vieux poisson de l’ombre qui tirait mes moustaches, d’une musique céleste chantée par des vents triomphants.

«Avez-vous des amis, des collègues que nous pourrions contacter? Avez-vous bu plus que de raison? Prenez-vous des drogues?»

Trois semaines durant, j’ai rencontré l’existence, accompagné des orages vers de lointaines contrées. J’ai parcouru, de château en château, de vastes régions pour renverser rois et servantes dans d’opulents fourrés. Je n’ai rien à dire à ce monsieur. Comprendrait-il les pages, les phrases de mon parchemin voilé?

La pièce n’a pas de fenêtres. Une seule petite porte et dans le coin, une fourmilière, vide. Je regarde ses yeux. Il est moi d’habitude. Il est ma solitude. Il se tait, analyse, réfléchit.

La petite chute d’eau s’écoulait doucement sur mon être mis à nu. Quel bonheur que de voir ces milliers de gouttes puisant en moi toutes ces sarabandes.

Je n’ai plus froid, je n’ai plus faim. Nourri de la tête aux pieds de la chaleur des clairières et des bois. Autant divers et particuliers, de l’éphémère rencontre au rythme des rivières et du poème volant qui se pose sur mes mains. De la beauté des gens et de leur douce fragilité.

Que pourrais-je lui dire? Tout cela est bien étrange. Nos esprits sont tendus. La peur de la connivence, de la faculté de l’homme à se faire des amis.

Soudain, il se lève. Il est plus grand que je ne le pensais. Il se met à marcher. Cela va vite, très vite. La salle s’allonge. Je le vois partir au loin et il n’est bientôt qu’un minuscule petit point.

La salle se penche et je suis englouti dans un trou siphonné. Me voilà chahuté, agité tel un pantin en une glissade sans fin. Ce n’est pas possible, je vais y laisser ma peau, je vais y laisser ma vie! Que l’on me foute la paix!

Et puis non, je vais lutter. Toutes ces merveilles dans mon âme seront plus fortes que ces indécentes insanités. Quelques minutes, quelques heures, un temps infini. Ombres et décombres sur une route verglacée…

Rue Victor Ladislas de La Paz, je m’arrête; monte les escaliers rutilants, saluant avec déférence les quidams épars. La pluie est frivole et me griffe le visage. Je traverse la rue.

Devant ma porte, la clé en main. Ma tête, mon corps, mon esprit. Les lumières nettes. J’entends le chat miauler. Pourrai-je parler? Tout lui raconter. Les vacances de rêve sont achevées. Trois semaines et la vie va changer. Aussi pour le chat.

2/ A Paris, beaucoup, je voyage

Par Daniel Devaud, La Chaux-de-Fonds

En 1900, dans l’hôtel particulier de riches bourgeois, au son de Vivaldi, j’ai pris la gondole de Canaletto devant le Rialto, me suis rendu à Madrid sous le regard sévère de Dona Ana de Velasco y Giron et celui coquin de la fille de la voluptueuse, me suis baigné près de Polynésiennes accueilli par la rousse de Modigliani presque aussi pauvrement vêtue que la femme au grand chapeau de Van Dongen ou celle de la Vénitienne de Giacometti.

Paris, beaucoup, je voyage par la pagode rouge, chez Bourvil et de Funès à la place Oury, la rue clair-obscur de Rembrandt au repos, ai pris un bateau de Ruysdael pour aller acheter du riz et déjeuner sur l’herbe. La comtesse russe des malheurs de Sophie, et des petites filles modèles que l’on entend jouer, traverse Monceau sans mines sous le regard de Maupassant et sa muse de pierre et de Jules Verne qui tourne en manège autour du globe, en ballon comme Picard, en Nautilus comme Picard, en avion. L’avion du Douanier Rousseau survole Paris, survole l’île St-Louis entouré de bateaux mouches du coche touristique.

Paris, beaucoup, je voyage sur la ligne bleue du métro Rome, Anvers, Stalingrad changer pour Austerlitz. Pensé à la dégaine de Colombo enquêtant sur la mort d’un antiquaire à Anvers, la dégaine de Blaise – sommes-nous loin de Montmartre? –, du Bateau Lavoir où se réunissaient le Russe de Vitebsk qui survole son village, l’Espagnol bleu puis rose puis cubiste puis…, le gymnopédiste compositeur.

Paris, beaucoup, je voyage devant la dame de fer où danse une troupe d’enfants kirghizes aux yeux sourires, où vendent des dames de plastique des dizaines d’Afrique noire aux dents sourires, où tend son gobelet vide une vieille de quatre-vingt-sept ans à la dégaine de Montmartre 1900, où l’on danse le tango, où la dame de fer devient feu et même se diamante.

La reine s’est offert un pèlerinage, les étoiles dans les yeux, en enfance et en adolescence, en patins à roulettes pour pêcher les étoiles qui dirigeaient Marco Polo, avec le petit bateau sur le bassin, un bateau qui coulait sans qu’il y ait de guerre au Luxembourg, malgré quelques soldats américains, avec Michelet qui parlait le slave, avec le Carambar de la maison de Taillefer amie du gymnopède et du pacifique qui ornait nos billets de vingt francs suisses, au temps de Maître Cocteau et de l’homme à la main gauche, né à La Chaux-de-Fonds, et son Crapulos éternel.

A Paris, beaucoup je voyage.

Sommes-nous loin de Montmartre chanté par Urfer et les quatre sans nom, celui de la commune libre d’Utrillo non loin des ballets peints pastel de l’amoureuse folle d’Apollinaire?

Libre touriste de ne rien acheter, de ne rien donner à la boîte de conserve vide qui circule de Stalingrad à Anvers car la faim se vit aussi sans poésie ni musique. La faim des débuts d’artistes encore réunis au Bateau Lavoir même s’ils cherchaient fortune autour du Chat Noir ou en chassant le Lapin Agile dans les vignes, le soir. A la fortune du pot au pied des Moulins sans galette, sans pain de seigle, et à la rue Cortot chez la chère Valadon où le père Tanguy, concierge des couleurs Van Gogh, entassait des œuvres comme aumône sébile.

Ça chante à la Bonne Franquette, de Briant à Brassens de Sète, pour nier le temps qui passe. Utrillo n’est plus devant le Consulat, ni devant la maison rose et sa libre commune est englobée dans le circuit du petit train cahotant sur les pavés des rues. Celle de l’Abreuvoir inspira Gérard de Nerval car les vaches et les ânes s’y désaltéraient. Dans le jardin de Renoir, non loin de la balançoire, on mange et on dessine tandis que les poulbots observent les salamandres du bassin où miroite la senteur capiteuse des roses et du sureau. Notre-Dame de la Beauté réenchantée par Valadon s’est installée dans une des plus vieilles églises de Paris.

A Paris, oui, beaucoup, je voyage, comme le Bienaymé cambrioleur passe-murailles figé par Jean-Marais à la rue Norvins, comme le cochon mort qui traverse Paris entre Bourvil et Gabin, comme passe-vitrine chez Martin de Barros et ses arcimboldesques fuyant le temps.

Je prendrai le train à la gare d’Orsay pour rejoindre Courbet dans les montagnes jurassiennes, juste à temps pour l’enterrement du trajet après quatre jours de soleil tendresse.

3/ A la plage!

Par Claude-François Robert, La Chaux-de-Fonds

- Kim Kardashian?, proposa l’assistante.

- Non, c’est une chieuse. Il me faut 100 invités à St Barth pour mon anniversaire, rappelez Bruce Willis.

- Nous survolons le Jura, annonça le pilote du jet privé.

- Le quoi?

L’avion avait décollé de Londres pour Dubaï. A bord, Miroslav Johnson, producteur de film new-yorkais, Pamela son assistante et Gianni le pilote. Au-dessus de La Dôle, le réacteur gauche baissa de régime.

- Pamela, vous changerez de tenue à Dubaï. Je vous veux plus «aérée».

Pamela déboutonna le haut de son chemisier. On ne contrarie pas Miroslav, lui avait dit sa secrétaire particulière, quand il l’avait engagée parmi cinquante candidates. Le haut-parleur grésilla:

- Ici Gianni. Gros problème avec le moteur gauche, nous perdons de l’altitude. Attachez vos ceintures.

Le producteur jeta un coup d’œil par le hublot. Le soleil se levait sur les Alpes. Sous les ailes, il voyait défiler des forêts de sapins.

- Mais, il n’y a rien ici, dit-il en regardant sa Rolex. Nous allons être en retard pour le rendez-vous avec l’émir. C’est ce genre de contrats qui paye votre salaire.

- M. Johnson, désolé. Je vais devoir me poser en urgence. Je n’ai plus de poussée.

- Et où allez-vous nous poser, au milieu des vaches?

Le jet frôla un troupeau de bovidés qui s’égaillèrent dans le pâturage.

- Il y a une piste pas loin, j’ai un contact radio. Nous allons atterrir aux Eplatures.

L’avion survola la ville du Locle, fit un virage au niveau du Mont Cornu, effleura les habitations de La Chaux-de-Fonds, puis tourna en bout de piste pour s’arrêter devant le restaurant qui était fermé en raison des «vacances horlogères». Gianni descendit l’échelle de coupée et se dirigea vers la petite tour de contrôle. Il revint en courant.

- La société de location nous envoie un technicien par hélicoptère. Nous en aurons pour 12 heures au minimum.

- Pamela, arrangez-vous pour nous trouver un peu de «fun», sinon je vais me remettre à boire.

Pamela, qui avait fait de hautes études commerciales, savait que les désirs du producteur étaient des ordres. Elle remit du rouge à lèvres, donna un coup de brosse à ses boucles blondes, rajusta sa jupe et sortit vers les bâtiments de la place d’aviation.

Elle avait de la peine à utiliser le terme d’«aéroport» pour cette piste, ces deux hangars et ce bâtiment administratif, justes posés à côté d’une église et d’un cimetière. Pamela s’approcha de M. Johnson qui lisait un document, un scénario de blockbuster.

- Oui mon chou, que me proposez-vous?

- Il y a des musées, celui des Beaux-Arts, le style «sapin» cela vous intéresse?

Johnson fit une moue dégoûtée.

- Le Musée international d’horlogerie a l’air fameux.

- Réfléchissez, je passe ma vie avec des types qui portent des Rolex, des Blancpain, des De Mille. Vous n’avez rien de plus original?

- Une promenade en ville. Elle est inscrite au Patrimoine de l’Unesco.

Le pilote haussa les épaules avant de regagner la cabine. Puis, un hélicoptère se posa et repartit aussitôt. En fin de journée, le technicien avait ouvert le capot du réacteur, branché des appareils et téléphoné à la société de maintenance.

Miroslav Johnson qui l’avait observé derrière son hublot, poussa des hurlements dans son portable, se resservit une vodka et soupira en contemplant la progression inexorable de la petite aiguille de sa montre. Pamela s’était approchée toute tremblante.

- M. Johnson, avec Gianni, nous allons vous laisser un moment.

Celui-ci confirma:

- Le technicien nous indique que la pièce arrivera de Genève Cointrin vers 4h du matin. Si tout va bien, nous décollerons après le lever du soleil.

Pamela portait un jean avec un tee-shirt et Gianni avait troqué sa tenue de pilote pour un style plus «casual».

- Vous allez me laisser tout seul?

- Vous pouvez nous accompagner.

- Et où allez-vous?

- A la plage, dirent-ils ensemble.

Les joues de Pamela rosirent. Miroslav Johnson ne savait pas si ces deux se payaient sa tête ou si la vodka l’avait déconnecté du réel.

- A la Plage des Six-Pompes, c’est un festival des arts de la rue. Ainsi, ce sera des vacances de rêve.

- Vous m’abandonnez au milieu de nulle part.

- Non, je vous ai apporté un McDo «Swiss bacon» trois étages.

- Quand, je raconterai cela à Beyoncé…

 

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