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Lignières: la désalpe, une tradition qui émerveille et rend heureux

Après trois mois passés à la Métairie de l’Isle, les génisses sont redescendues de l’alpage. Décorées, elles ont fait la fierté des agriculteurs lors du défilé de la 43e désalpe de Lignières. Reportage en coulisses.

23 sept. 2018, 13:13
Décorées, les génisses ont fait la fierté des agriculteurs lors du défilé de la 43e désalpe.

«Ça va me faire un vide. Même si j’en reverrai certaines au village, sans les vaches et leurs cloches, ici, c’est mort».

François est un brin mélancolique. La sacoche en bandoulière, le berger de la Métairie de l’Isle distribue ses derniers bouts de pain aux 48 génisses qu’il a eues en pâture pendant 100 jours. Aujourd’hui, le bétail redescend l’alpage et ouvre le cortège de la 43e désalpe, qui traverse Lignières. Pour le monde agricole, cette journée est une véritable fête, à laquelle se sont joints les écoles et les sociétés locales avec chacune un char respectif, les lanceurs de drapeaux et même les sonneurs de cloches. Le tout au son des fanfares.

 

Changements pour cette édition

Une douzaine d’agriculteurs, aidés d’enfants, sont venus décorer les reines du jour. Le soleil arrose un paysage à couper le souffle, les Alpes resplendissent au loin, tandis que le voile de rosée matinale se lève peu à peu. Il est 8 heures, la journée commence par un copieux brunch à la métairie. Météo, votations fédérales du week-end, subsides: on refait le monde et on charrie son voisin en tartinant sa tranche de tresse.

La fête s’annonce magique. Pour cette édition, on a vu grand, avec la venue d’artistes et le montage d’une grande tente. Pour une fois, la désalpe de Lignières ne tombe pas en même temps que la Fête des vendanges, avec laquelle il est difficile de régater en termes d’affluence.

«La désalpe, c’est notre fête», s’enthousiasme Christelle, l’une des rares agricultrices. «On se réjouit de défiler.» Frédéric renchérit: «La désalpe, je ne la raterais pour rien au monde! Je me lève désalpe, je vis désalpe», s’emballe le jeune agriculteur de 23 ans. «Et lorsqu’on défile à Lignières, sous les applaudissements des gens, ça fait vraiment plaisir.»

Quand les vaches se font la malle

Au boulot! Il faut rentrer les génisses par petit groupe dans l’écurie. Là-bas, elles seront tour à tour parées de leur cloche d’apparat. Les plus chanceuses seront même décorées d’une couronne de sapin et de fleurs en papier, préparées l’avant-veille par les femmes paysannes comme le veut la tradition.

Mais pour décorer une vache, mieux vaut d’abord l’attacher. Et ce n’est pas évident, il y a des récalcitrantes. «Elles ont perdu l’habitude de rentrer à l’écurie puisqu’elles sont restées libres dans le pâturage. Elles sont nerveuses, mais ça ira», résume François, sans pour autant lâcher «son» troupeau du regard.

Une génisse secoue vertement la tête. Sa nouvelle couronne ne lui plaît manifestement pas. Frédéric rassure: «Elles se débattent deux minutes puis s’habituent à leur parure». N’empêche que l’ambiance est tendue. Quatre vaches tentent de se faire la belle à travers le pâturage, quatre jeunes leur courent après. Fuyant l’écurie, une génisse apeurée casse une barrière et se réfugie entre les voitures. Mieux vaut rester prudent, une génisse peut toujours charger.

Gare aux numéros!

«Viens, gamine! Hop!», calme le berger, la main tendue vers le museau de la belle. Non loin de lui, Christelle s’affaire à numéroter méticuleusement les vaches. Au terme de leur périple, les génisses devront retrouver la bonne cloche et le bon propriétaire. L’agricultrice répète les chiffres à haute voix, pour être sûre. «Celle-ci a un bon cou, on peut lui mettre une grosse cloche», crie Jean-Luc, pris au milieu du troupeau, tout en contenant une bête. Revêtues de leur plus belle toilette, les reines sont maintenant prêtes à regagner la plaine. Le cortège s’ébranle dans un flot de «Hop! Hop! Hop!», noyé dans un tintamarre de «ding!» et de «dong!» assourdissant.

Relève assurée

Émilien, 9 ans, et Bastien, 8 ans, endossent leur rôle avec admiration. Munis de leur bâton, ils guident, à l’aide des adultes, le troupeau à travers les pâturages et la forêt. «Je veux devenir agriculteur. Je fais ça depuis tout petit», envoie sans détour Émilien. «Et cette désalpe, ça fait un an que je m’en réjouis!» Son copain Bastien a, lui aussi, choisi de défiler aux côtés de son papa. 

 

«C’était soit le cortège sur un char avec l’école, soit le défilé avec les vaches. Moi, je veux être avec les bêtes.»

 

Les rares génisses téméraires qui s’aventurent hors du troupeau sont ramenées dans la foulée, encerclées d’une barrière humaine. Sur la route cantonale, les automobilistes se sont rangés de côté et, munis de leur smartphone, filment avec émerveillement le spectacle.

«C’est comme ma famille»

La désalpe à proprement parler dure près d’une heure et demie. Il faut parfois marcher, souvent courir pour suivre le rythme des génisses. Frédéric prend le temps de se confier. «Dans notre métier, on se sent parfois isolés. A l’époque, il y avait un agriculteur dans chaque famille. Aujourd’hui, les gens ont pris du recul. Cette désalpe, ça nous permet de retrouver un lien avec la population.» Le jeune marque un temps avant de reprendre: «Mon bétail, c’est comme ma famille». 

Transpirants, les agriculteurs parquent enfin leurs génisses dans un champ jouxtant le village. «Nous sommes dans les temps!», se félicite Jean-Luc. Après s'être restaurée ensemble dans l’exploitation de Céline et de Marcel, l'assemblée rentre se doucher puis enfiler sa chemise à edelweiss.

Enfin, la consécration

Il est 14 heures précises. Le bétail ouvre enfin le cortège de la désalpe, suivi des chars et des fanfares. Fatiguées, les vaches restent dans le rang. Ce qui n’empêche pas Michel de surveiller ses bêtes, devant comme derrière lui.

A eux seuls, les «Bravos!» de la foule et le boucan des cloches emportent l’enthousiasme du cortège. Les ventres se serrent, le cœur s’emballe, les yeux s’humidifient.

Quelle fierté d’être là.

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