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«L’artisan doit rester au cœur du processus»

Tradition et saveurs seront au menu de la Semaine du goût du 17 au 27 septembre. Gros plan sur la taillaule, spécialité gourmande qui convoite une AOP.

16 sept. 2020, 05:30
Dégustation de taillaules au port de Neuchâtel, le 15 septembre 2020.

Du 17 au 27 septembre, la Semaine du goût va titiller nos papilles avec des rendez-vous aux quatre coins du canton (lire encadré). Son objectif? Préserver la tradition, valoriser la diversité des saveurs, sensibiliser les jeunes au plaisir de bien manger… De la taillaule, par exemple, qui fait partie des produits neuchâtelois emblématiques. Ce mardi 15 septembre, la fameuse brioche dorée était au cœur de l’événement «Les jeunes dégustateurs ont du goût» au marché de Neuchâtel, qui lançait la manifestation dans le canton. Avec en point de mire l’appellation d’origine protégée, qu’elle cherche à obtenir. Le point sur cette démarche avec Alain Farine, le directeur de l’Association suisse des AOP-IGP.

Où en est le processus de protection AOP de la taillaule initiée par les boulangers neuchâtelois en 2019?

Rien n’a encore été entrepris au niveau officiel: un groupe de travail planche actuellement sur les questions préliminaires et il est confronté à plusieurs interrogations. La première porte sur la définition de l’aire géographique. Car la taillaule n’est pas seulement confectionnée sur sol neuchâtelois, elle l’est aussi dans le canton de Vaud. Nous avons consulté l’historien Michel Schlup à ce propos. Ses recherches démontrent qu’on trouve des brioches appelées taillaules un peu partout sur le territoire vaudois depuis au moins deux siècles. Cela veut dire que si les boulangers vaudois ne s’impliquent pas dans la démarche des Neuchâtelois, la protection AOP/IGP ne pourra pas aboutir: il faut que 60% des artisans concernés portent le projet, la représentativité est une condition sine qua non. Ce n’est pas gagné d’avance! Mettre en place cette labellisation signifierait que seuls les boulangers qui auront été certifiés pourront continuer d’appeler leur produit taillaule, les autres devront renoncer à cette appellation. Une autre question qui devra être réglée, c’est l’apparence: on trouve des taillaules rondes, en forme d’anneau et, dans le canton de Neuchâtel, elles sont cuites dans des moules rectangulaires depuis les années 1960. Cette diversité pose un problème d’identification. Il reste encore du pain sur la planche dans ce projet de protection…

Les grands distributeurs ont-ils leur mot à dire?

Il faut savoir qu’ils produisent les trois quarts des taillaules vendues dans le canton de Neuchâtel. Et comme je le mentionnais avant, tout projet de protection doit réunir la majorité des acteurs impliqués, y compris les grandes enseignes. Se pose alors la question de savoir où leurs taillaules sont produites, autrement dit si c’est dans l’aire géographique concernée ou pas… Il est déjà arrivé qu’une AOP-IGP soit freinée parce que le produit d’un grand distributeur n’entrait pas dans l’aire de fabrication définie, ce qui a obligé l’enseigne à renoncer à sa production et à écouler un article de la concurrence.

Quelle est la plus-value pour le consommateur avec un produit AOP?

C’est la promesse d’un produit confectionné avec un savoir-faire ancestral, selon un processus historique, propre à une région déterminée. L’AOP assure que l’origine du produit est garantie. Des matières premières à la transformation, la production est encadrée par un cahier des charges. Cela n’exclut pas les touches personnelles, mais permet de s’assurer qu’on garde les fondamentaux. Le but, si on reprend l’exemple de la taillaule, c’est qu’on ne finisse pas avec des variantes au citron ou pépites de chocolat…

Nous sommes sur le fil du rasoir, car l’homme a toujours été enclin à trouver des facilités technologiques! Dans la fabrication du fromage par exemple, si l’on peut admettre que certains travaux pénibles puissent être faits avec des robots, il faut veiller à ce que l’artisan reste au centre du processus. C’est lui qui doit goûter et juger de la texture du fromage en devenir: il ne faudrait pas que des capteurs installés dans les cuves le fassent à sa place! L’artisan doit rester au cœur du produit, car l’AOP ou l’IGP est un gage d’authenticité.

La protection AOP ou IGP, c’est un bon outil pour promouvoir les spécialités régionales?

Les artisans qui confectionnent des produits AOP-IGP doivent se soumettre à des contrôles de dégustation régulièrement, avec nouvelle certification tous les deux ans. Toutes les filières ont constaté que cet exercice a permis d’élever le niveau de qualité de ces spécialités. Par conséquent, elles en tirent un bilan positif car l’enregistrement comme AOP ou IGP a permis de renforcer la crédibilité des produits. Si l’on prend le cas de la Cuchaule AOP, on constate une progression de la production et des ventes depuis son enregistrement en février 2017. Mais le gage de qualité AOP ne s’accompagne pas toujours d’un accroissement des ventes: le Pain de seigle valaisan AOP, par exemple, a d’abord connu un essor, puis il y a eu tassement. Dans ce cas de figure, la protection ne suffit plus à contrer l’expansion des pains industrialisés… Il faudrait dès lors développer d’autres manières de le consommer. En fait, une fois l’AOP délivrée, une autre tâche attend les artisans: ils doivent s’investir pour défendre et promouvoir leur production, par l’intermédiaire de dégustations, de foires, etc., en considérant les AOP-IGP comme des cartes de visite attractives de la Suisse. Nous constatons en effet que ces spécialités sont de plus en plus appréciées en tant produits touristiques.
 

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