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Agriculture: face au suicide, il faut briser le tabou

Le risque de suicide est plus élevé chez les agricultrices et les agriculteurs que pour le reste de la population suisse. Dans le canton de Neuchâtel, un réseau de sentinelles a été formé pour ouvrir le dialogue entre pairs et éviter ces drames.

01 déc. 2020, 10:48
Selon une étude d'Agroscope, les agricultrices et les agriculteurs sont deux fois plus exposés à l’épuisement professionnel que le reste de la population.

Sorti au cinéma il y a une année, «Au nom de la terre» a bouleversé ses spectateurs. Inspiré de l’histoire personnelle de son réalisateur Edouard Bourgeon, le film parle du suicide dans le monde agricole. Une thématique difficile que l’écrivain et agriculteur suisse Jean-Pierre Rochat aborde également avec une grande franchise dans son roman «Petite brume», publié en 2017 aux éditions D’Autre part.

Ces deux œuvres retranscrivent une réalité qui touche la population agricole. En 2017, Agroscope, le centre de compétence de la Confédération pour la recherche agronomique, publie une étude qui indique que les agricultrices et les agriculteurs sont deux fois plus exposés à l’épuisement professionnel que le reste de la population.

«Au-delà du métier d’agriculteur, c’est toute la population agricole au sens large qui est plus vulnérable au risque de suicide que le reste de la population», confirme le Docteur Stéphane Saillant, médecin chef du département de psychiatrie générale et liaison au Centre neuchâtelois de psychiatrie (CNP) et vice-président du Groupe romand prévention suicide (GRPS). «L’accès aux soins lui est plus difficile et les problèmes de santé mentale, ainsi que le suicide, restent des sujets très tabous, en particulier dans le milieu agricole.»

Assurer un relais avec les pairs

Pour prévenir ces drames, la Chambre neuchâteloise d’agriculture et de viticulture (Cnav) a mis en place un réseau de sentinelles, en collaboration notamment avec les autorités cantonales, dont le service de la santé publique, le GRPS et le CNP. Stéphane Saillant, qui a travaillé sur ce projet, explique: «Initialement, il s’agit d’une action vaudoise que nous avons transposée à Neuchâtel au printemps 2018. Les agriculteurs et les personnes qui travaillent au contact du monde rural pouvaient s’inscrire pour participer à une formation de sensibilisation d’une demi-journée.»

Les sentinelles sont donc des pairs, susceptibles ainsi d’être en contact avec les personnes en détresse. «Lors de la formation, ces volontaires reçoivent une information ciblée sur la prévention du suicide. Leur rôle n’est pas d’apporter une aide thérapeutique, mais plutôt d’être en mesure d’identifier des situations à risque et d’orienter les individus en souffrance dans le réseau de soins. Il s’agit également d’insister sur la nécessité de ne pas rester seul avec cette problématique et de chercher de l’aide.»

«Il ne faut pas avoir peur d’aborder le thème du suicide»

Contrôleur pour l’Association neuchâteloise des agriculteurs en production intégrée (Anapi), Thierry Oppliger a suivi la formation sentinelle. «L’Anapi nous a encouragés à nous inscrire. Je me suis dit que ce serait bien de savoir comment réagir, comment être à l’écoute de personnes qui traversent ces difficultés.» Dans le cadre de son activité de contrôleur, l’agriculteur du Pâquier est un témoin direct du mal-être que vivent certains de ses collègues: «C’est toujours une situation stressante de se faire contrôler. Une ferme, c’est quelque chose de vivant. Il est très difficile d’être en ordre au quotidien sur tous les aspects administratifs.»

Depuis la formation, il a été confronté à une situation où il a pu mettre en pratique les conseils reçus: «Lors d’un contrôle, j’ai pu voir que la personne était vraiment très anxieuse. En prenant le temps de discuter, elle s’est ouverte et m’a fait part de sa détresse. C’était une personne plutôt âgée, qui n’avait pas appris le métier avec la pression administrative que l’on connaît aujourd’hui. Ce que l’on apprend dans ce cours et qui est primordial, c’est qu’il ne faut pas avoir peur d’aborder le thème du suicide. En réalité, une fois que le mot est sorti, on se retrouve à égal niveau avec son interlocuteur, il comprend qu’on l’écoute vraiment.»

Dans le canton de Neuchâtel, 66 personnes au total ont pris part aux sessions de formation. «Pendant ces demi-journées, les volontaires ont participé à des jeux de rôles, une méthode qui permet de déconstruire certaines représentations», décrit Stéphane Saillant. Le psychiatre a noté une réelle implication de la part des participants: «J’ai été surpris de voir à quel point ils étaient ouverts à la discussion. Certains ont pu évoquer leur situation personnelle et leur tentative de suicide. Au quotidien, il est très difficile de parler de ses problèmes psychologiques. Or, il est essentiel d’oser en parler, de tendre la main.»

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