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«Un bain de sang est à craindre»

09 juil. 2011, 10:58

«C'est un échec.» Le constat de Marc Lavergne, directeur de recherches au CNRS, est cinglant. Pour lui, pas de raison de se réjouir à l'idée d'un nouveau pays: la sécession du Soudan sera l'occasion d'un nouveau bain de sang. Et les dernières semaines écoulées semblent lui donner raison. De violents combats ont éclaté - notamment - dans la région d'Abyei, zone pétrolifère située à la frontière Nord-Sud.

A la suite du référendum d'autodétermination de janvier dernier, un autre référendum devait être organisé pour définir l'appartenance de la région à l'un ou l'autre des deux futurs pays, mais celui-ci a été reporté «sine die» laissant la porte ouverte au conflit. Aujourd'hui, la région n'a toujours aucun statut, même si un accord a été signé la semaine dernière entre le Nord et le Sud, visant au retrait de leurs troupes. Une intervention des Nations unies assurera la stabilité de la zone. Plus de 4000 casques bleus y seront prochainement déployés.

«L'essentiel de la production d'or noir est au Sud (réd: 85%), mais c'est le Nord qui détient les clefs de son exploitation», explique Marc Lavergne. En effet, un oléoduc mène le pétrole du Sud à Port-Soudan (Nord-Est), ouvrant ainsi le marché à la mer Rouge. «Aucun des deux partis n'a intérêt à fermer le robinet», affirme dès lors le spécialiste.

La question du pétrole, si elle représente un enjeu véritable, n'est donc pas aussi cruciale qu'on pourrait l'imaginer.

Subsistance

L'un des problèmes essentiels des deux futurs pays sera de trouver des moyens de subsistance. Si, jusque-là, le Nord était la région économiquement forte, les ressources naturelles se situaient - comme elles se situeront encore - dans le Sud. Ce dernier est verdoyant (on y cultive millet, blé, sorgho, papayes, etc.) et regorge de minerais (fer, zinc, cuivre, mica, or, etc.), alors que la région septentrionale est désertique. Durant les six ans qui se sont écoulés depuis l'accord de paix de 2005, le Sud n'a cependant rien mis en place pour exploiter ses ressources. Et le Nord, plutôt que de favoriser un système tendant à créer un équilibre entre les deux régions, a poursuivi sa politique d'exploitation du Sud. Et c'est bien là un des nœuds qui a mené à la sécession du pays.

«Les Sudistes au départ ne voulaient pas de l'indépendance», commente l'expert. Ils réclamaient un «New Soudan», un pays dans lequel il y ait plus d'équité entre les régions, mais aussi entre les ethnies, et ce indifféremment de leurs croyances. Le Nord est une région musulmane, alors que le Sud est animiste et chrétien. «La partition, c'est l'échec du plus grand pays d'Afrique», reprend Marc Lavergne, «d'autant plus que les liens entre les deux régions ne pourront pas être rompus si facilement.» L'expert illustre: «Les éleveurs nomades, par exemple, traversent au fil des saisons le pays du Nord au Sud et inversement. Les paysans continueront à fonctionner ainsi: leurs vaches ne tenant pas compte des frontières, ils n'y prendront pas plus gare.»

Emigration interne

Avec l'exode rural, un grand nombre de sudistes avaient rejoint Karthoum et les régions septentrionales, il y a une quarantaine d'années. Selon les chiffres avancés par l'ONU, environ un million et demi à deux millions de Sud-Soudanais y résideraient aujourd'hui. Le Nord leur demande désormais de partir. Environ 300 000 d'entre eux auraient déjà rejoint la région australe. Mais au Sud, il n'y a aucune structure pour les accueillir, ni écoles, ni dispensaires.

En outre, les Sudistes représentaient pour le Nord une main-d'œuvre bon marché et aisément exploitable. «Karthoum pourrait s'en mordre les doigts, car ce sont les Sudistes qui travaillent dans le Nord», commente Marc Lavergne.

Du côté Sud, on n'est cependant pas plus vertueux. Des tribus limitrophes situées dans le Nord ont combattu au côté des Sudistes durant la seconde guerre civile au péril de leur vie. Aujourd'hui, celles-ci sont abandonnées aux mains du Nord qui n'hésite pas à les massacrer. «Karthoum a la volonté d'écraser les Noubas par exemple», commente Marc Lavergne. «La capitale a d'ailleurs reçu le soutien de la Chine, un pays membre des Nations unies», ajoute-t-il.

«En réalité, ce n'est pas un, mais deux pays qui se créent aujourd'hui», conclut le directeur de recherches. Et si les deux pays ne s'affrontaient pas (le Soudan reconnaissait hier officiellement la République du Sud-Soudan), il est à craindre que les deux régions implosent chacune de leur côté. Au Nord, Omar El Béchir, le président du Soudan, après le Darfour, s'attaque désormais à la région du Kordofan. L'ONU a par ailleurs voté la création d'une nouvelle force de maintien de la paix pour le nouvel état, alors que son mandat prend fin aujourd'hui même dans la région septentrionale.

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