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Semprun était l'archétype de l'Européen

09 juin 2011, 11:08

L'?crivain espagnol, dont la majeure partie de l'?uvre litt?raire est r?dig?e en fran?ais, s'est ?teint mardi soir ? l'?ge de 87 ans, ? Paris. Espagnol ? Paris, Fran?ais ? Madrid, Jorge Semprun ?tait l'arch?type de l'Europ?en n? entre les deux guerres. Pour ce fils d'ancien diplomate du Front populaire espagnol, issu de la bourgeoisie madril?ne, les convictions europ?ennes furent une constante familiale. Question d'?ducation...

Car l'Espagne du d?but du 20e si?cle, contrairement ? ce que l'on peut imaginer parfois, n'?tait pas enferm?e dans un nombrilisme p?ninsulaire. Au contraire, la culture fran?aise y tint toujours une large place, au m?me titre que la culture allemande dont l'intrusion remonte au 19e si?cle. Les grands penseurs allemands, abondamment traduits en Espagne ont certainement influenc? la pens?e de l'intelligentsia madril?ne... Sans oublier le nec plus ultra: les inoubliables gouvernantes allemandes, longtemps jug?es indispensables ? l'?ducation des petits espagnols de la haute soci?t?!

Itin?raire d'un g?ant

Jorge Semprun a grandi dans cette ambiance entre un p?re cultiv?, lecteur assidu de la revue fran?aise ?Esprit?, et une gouvernante germanique qui lui inculqua ses premi?res notions d'allemand, ? l'heure o? il commen?ait ? peine ? s'exprimer en espagnol.

En 1936, lorsque la guerre civile jette les Semprun sur les routes de l'exil, le petit Jorge a 13 ans. Il parle aussi bien l'allemand et le fran?ais que l'espagnol; mais son passage au lyc?e Henri IV ? Paris va en faire un v?ritable bilingue qui manie avec autant de finesse la langue de Victor Hugo que celle de Cervant?s. Au point qu'il lui arrive parfois, quand il prend des notes personnelles de commencer une phrase en fran?ais et de l'achever en castillan... C'est une ?esp?ce de schizophr?nie du langage?, ironisait Jorge Semprun qui avouait: ?Ce qui m'int?resse le plus dans la vie, c'est la communication.?

L'itin?raire de Jorge Semprun est le reflet vivant d'une Europe en proie aux turbulences de l'histoire. Tr?s t?t engag? dans la R?sistance fran?aise dans les rangs des communistes, il a 20 ans lorsqu'il d?barque ? Buchenwald. Comme la plupart des communistes enferm?s dans ce camp, il est charg? de l'organisation du travail et de l'affectation de la main-d'?uvre. Il y restera jusqu'au 24 avril 1945. Deux ans qui le marqueront; deux ans de souvenirs, d'images, d'angoisses qu'il mettra 17 ans ? assimiler, le temps que l'oubli panse les plaies; le temps que la pudeur s'efface devant le t?moignage pour aboutir en 1963 ? un premier livre bouleversant, ?Le Grand Voyage?.

Homme de double culture

Aussit?t lib?r?, Jorge Semprun reprend ses activit?s politiques. De 1953 ? 1963, il dirige le Parti communiste espagnol dans la clandestinit?, changeant plusieurs fois d'identit?; tant?t ? Madrid, tant?t ? Paris, on le rencontre en compagnie de Vian, de Vailland, de Desanti ou de Merleau-Ponty. Un itin?raire sans faille d'un communiste convaincu, engag? dans les croisades contre le franquisme. Puis en 1964, c'est l'exclusion du parti, prononc?e par Santiago Carrillo, pour d?lit d'eurocommunisme. Fran?ais? Espagnol? H?ros et antih?ros? Aventurier et penseur? Jorge Semprun a besoin de faire le point. Il entre en litt?rature. Il prend le temps de vivre, musarde ? Saint-Germain-des-Pr?s, hante le march? de Buci ? la recherche des odeurs et des couleurs. Ses livres sont autobiographiques, directement ?crits en Fran?ais. L'un d'eux, ?La Deuxi?me Mort de Ramon Mercader?, lui vaudra en 1969 le prix F?mina.

Mais c'est l'aventure cin?matographique qui lui permet d'assurer sans heurts la transition entre le militant et l'?crivain. En lui commandant le sc?nario de ?La guerre est finie?, Alain Resnais l'aide ? changer de peau. ?Cela m'a permis de gagner trois ans?, avoue Jorge Semprun, qui consid?re cette exp?rience comme son purgatoire. De cette ?poque date sa rencontre avec Yves Montand. Une profonde amiti? va na?tre ? travers leur communisme sceptique et leurs illusions perdues. Une ?troite collaboration va aboutir aux trois grands films de Costa-Gavras: ?L'Aveu?, ?Z? et ?Etat de si?ge?.

Opinions tranch?es

Avec la mort de Franco en 1975 et le vent de libert? qui souffle sur l'Espagne, Jorge Semprun se sent d?li? de tout serment. Le Parti communiste espagnol ?tant l?galis?, plus rien ne pouvait emp?cher en 1977 la publication de l'?Autobiographie de Federico Sanchez? (un des pseudonymes de Jorge Semprun dans la clandestinit?). Ce livre ?crit en castillan qui ?voque son itin?raire communiste n'a gu?re ?t? appr?ci? par ses anciens compagnons. Peu importe, Jorge Semprun devait l'?crire pour en finir une fois pour toutes avec cette vieille obsession qui l'emp?chait de reconqu?rir son identit?.

Tax? par la gauche espagnole d'anticommunisme visc?ral, accus? d'avoir vir? ? droite, Jorge Semprun a fait pendant trois ans l'exp?rience du pouvoir comme ministre de la Culture dans le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez. Homme de double culture, il ?tait peut-?tre le plus ? m?me de veiller ? la bonne place de l'Espagne dans le concert europ?en. Homme d'ouverture, il consid?rait ainsi son r?le de ministre: ?Etre ? l'?coute de la soci?t? et r?pondre d'une fa?on positive ou n?gative ? ses demandes.?

Mais les opinions tranch?es de Jorge Semprun, ses diatribes contre le conservatisme id?ologique et le sectarisme aveugle de certains compagnons de Felipe Gonzalez lui ont attir? des inimiti?s. Alors, le 12 mars 1991, il est retourn? ? sa vie de simple citoyen partag?e entre la France et l'Espagne. En 1996, il est ?lu ? l'Acad?mie Goncourt; il n'a pas pu entrer ? l'Acad?mie fran?aise car il a conserv? la nationalit? espagnole.

En 2004, il a re?u le Prix Ulysse pour l'ensemble de son ?uvre. Le 30 novembre 2007, il a re?u les insignes de docteur honoris causa de l'Universit? Rennes 2 Haute Bretagne.

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