Sa chaise est restée là et le petit palmier dans son pot a continué de pousser. Dix ans après son assassinat à Moscou, le bureau d'Anna Politkovskaïa a été transformé par ses collègues journalistes en un petit autel "pour ne pas oublier".
Critique infatigable des exactions commises en Tchétchénie par l'armée russe, Anna Politkovskaïa, journaliste pour le bi-hebdomadaire Novaïa Gazeta, a été tuée par balles le 7 octobre 2006 dans sa cage d'escalier, à 48 ans.
Son assassinat avait été commis le jour de l'anniversaire du président Vladimir Poutine. Il avait suscité l'émotion, notamment dans les pays occidentaux, où elle jouissait d'une notoriété plus forte qu'en Russie.
Remembering Anna Politkovskaya, Kremlin critic murdered ten years ago. https://t.co/59tzi2FAmA pic.twitter.com/LuFpMgNpfp
— Kenneth Roth (@KenRoth) 7 octobre 2016
Trop dangereux
"A plusieurs reprises, nous lui avions demandé de ne plus s'occuper de la Tchétchénie, parce que c'était devenu trop dangereux", se souvient son ancien collègue, Sergueï Sokolov, devenu rédacteur en chef adjoint de Novaïa Gazeta. "Mais Anna disait qu'elle ne pouvait pas fermer les yeux sur ce que le pouvoir russe y faisait", dit-il à l'AFP.
Après deux jours de silence, Vladimir Poutine, cible récurrente des articles de la journaliste, avait promis une "enquête objective" sur son meurtre. L'enquête, comme le procès, connaîtra de nombreux coups de théâtres: remaniement soudain de l'équipe d'enquêteurs, fuite en Sibérie du meurtrier présumé, acquittement de trois suspects puis annulation de cette décision par la Cour suprême russe.
"C'était très éprouvant", se souvient le fils d'Anna, Ilia Politkovski. "Et pour finir, il n'y a eu aucune sorte de justice".
Flores frente al portal donde fue asesinada Anna Politkóvskaya hace 10 años pic.twitter.com/vPDLc9b1Qv
— Ricardo Marquina (@RusiaSeMueve) 7 octobre 2016
Quatre Tchétchènes condamnés
En juin 2014, à la suite de huit ans d'enquête, cinq hommes, dont quatre Tchétchènes, sont condamnés à de lourdes peines par un tribunal moscovite.
Roustam Makhmoudov, reconnu coupable d'avoir tiré sur la journaliste, et son oncle Lom-Ali Gaïtoukaïev, identifié comme l'organisateur du meurtre, écopent de la perpétuité. Leurs complices reçoivent également de lourdes peines: 20 ans de prison pour le policier moscovite Sergueï Khadjikourbanov, 12 ans et 13 ans et demi pour les deux frères du tireur, Ibraguim et Djabraïl Makhmoudov.
We’re remembering Anna Politkovskaya, courageous journalist and critic of the Kremlin, murdered 10 years ago today. (Photo: V. Varfolomeev) pic.twitter.com/EAZ7xpwWpm
— oDR (@opendemocracyru) 7 octobre 2016
Justice n'a pas été faite
Mais, malgré la sévérité des peines, le verdict est loin de satisfaire les proches d'Anna Politkovskaïa. "Justice n'a pas été faite", martèle Sergueï Sokolov. "Oui, ceux qui l'ont tuée sont en prison mais pas leur patron, ni le patron de leur patron". Pour Ilia Politkovski, "la justice s'est arrêtée en chemin".
La cellule d'enquêteurs mise en place par le Parquet pour l'identification des commanditaires semble piétiner: aucune avancée n'a été faite depuis deux ans. "Toutes les pistes mènent à la Tchétchénie, aux plus hauts rangs de l'élite tchétchène, mais le pouvoir russe freine l'enquête", dénonce Pavel Kanyguine, journaliste à Novaïa Gazeta.
"Tant qu'il n'y aura pas de changement de régime politique en Russie, les commanditaires resteront en liberté", affirme-t-il à l'AFP.