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L'an «Un» de la démocratie tunisienne

20 sept. 2011, 11:04

Ce lundi-l?, la route de Kairouan ?tait bloqu?e. Un ?ni?me barrage sauvage ?rig?, cette fois, par les habitants du village d'Enfidha pour protester contre les nuisances occasionn?es par la cimenterie locale et r?clamer des indemnit?s. B?illonn?e pendant deux d?cennies par le r?gime de Ben Ali, la Tunisie a bascul?, depuis la fuite de l'ancien pr?sident, le 14 janvier dernier, dans une ivresse de revendications tous azimuts qui s'accompagnent parfois de violences. Prudent, Abdel Wahab Hani a donc achev? sa tourn?e dans un caf? d'Akouda, une bourgade de 35 000 habitants, au milieu d'une dizaine de sympathisants venus pr?senter, eux aussi, leurs dol?ances. Rentr? en Tunisie apr?s vingt ans d'exil en France, Hani a fond? une petite formation politique baptis?e el-Majd (?la Gloire?). Elle est en lice pour le scrutin du 23 octobre prochain qui ?lira une Assembl?e constituante. Les premi?res ?lections libres dans l'histoire de la Tunisie. La campagne ne commencera officiellement que le 2 octobre, mais, d'ores et d?j?, la bataille ?lectorale fait rage.

Sous-marins islamistes

Faute de culture d?mocratique, le d?fi s'annonce consid?rable. Cent cinq formations politiques ont ?t? l?galis?es depuis le d?but de l'ann?e. Une euphorie enfum?e d'un brouillard ? couper au couteau. Nul ne semble en mesure de d?crypter le nouveau paysage politique, un marais aussi opaque qu'instable peupl? de sous-marins, de fant?mes et d'aventuriers populistes.

Les fant?mes, eux, viennent du RCD, le d?funt parti de Ben Ali, sur les cendres duquel sont n?es plusieurs petites formations. En qu?te de respectabilit?, ces ex-RCDistes ont endoss? les vieux habits du N?o-Destour, le parti de Habib Bourguiba, devenu une r?f?rence nationale, un de Gaulle tunisien. La nouvelle sc?ne politique tunisienne pr?sente un autre d?nominateur commun: le centrisme et plus pr?cis?ment celui qui bat ? gauche, la r?volution s'?tant faite au nom des classes d?favoris?es. ? l'instar de beaucoup d'autres formations, el-Majd, le parti d'Abdel Wahab Hani, s'identifie donc comme centriste bien que la plupart des observateurs le per?oivent islamo-progressiste. Seule certitude: ? l'exception des islamistes du parti Ennahda (?Renaissance?), la visibilit? des formations en comp?tition laisse s?rieusement ? d?sirer quand elle n'est pas quasiment nulle. Crypto-islamistes ou crypto-RCDistes, les sous-marins, eux, sont apparemment l?gion. Et puis, il y a les candidats ind?pendants qui repr?sentent pr?s de la moiti? des 1 570 listes candidates et qui pourraient rouler pour les grands partis mal implant?s dans certaines circonscriptions.

Bien qu'ils n'aient jou? aucun r?le dans la ?r?volution du jasmin?, les islamistes d'Ennahda sont donn?s favoris de la course ?lectorale. ?Ils n'ont aucun programme ?conomique, ne savent traiter les conflits sociaux que par le biais d'actions caritatives et fondent leur discours sur l'oumma (la communaut?) alors que la r?volution a ?t? faite par des individus?, remarque un observateur. Mais, plusieurs milliers d'entre eux ayant ?t? embastill?, voire tortur?s, au d?but des ann?es 1990, ?ils jouissent d'une aura de martyrs ? laquelle s'ajoute une r?putation d'int?grit?. Ils b?n?ficient aussi de la g?n?rosit? de certaines p?tromonarchies du Golfe.

Ennahda, qui a investi les mosqu?es, veut ratisser large. D'o? son ambigu?t?. Son double langage, tant?t r?formiste sur le mod?le de l'AKP turc, tant?t conservateur, voire r?trograde, a jet? un malaise. Le mouvement est loin d'?tre homog?ne et les provocations d'un courant salafiste ultraminoritaire, mais tr?s voyant, ont contribu? ? renforcer le trouble. ?Fin juin, raconte la dirigeante d'un mouvement f?ministe, des islamistes radicaux ont tent? d'emp?cher la projection ? l'h?tel Africa du film de Nadia el-F?ni intitul? Ni Dieu ni ma?tre. Ils ont tout cass? et contraint la r?alisatrice ? changer le titre de son film.?

Avocate sous Ben Ali de l'int?gration des islamistes dans l'ar?ne politique, l'ancienne opposition dite la?que semble d?sempar?e par ce passage du virtuel ? la r?alit?. Apr?s avoir craint que la r?volution ne soit confisqu?e par l'ancienne nomenklatura, elle redoute confus?ment qu'elle le soit par les islamistes.

Le Parti d?mocratique progressiste (PDP) de Nejib Chebbi appara?t comme le mieux plac? aujourd'hui pour tenir t?te ? Ennahda. Accus? de diaboliser les islamistes, Chebbi r?clame la tenue d'un r?f?rendum sur la dur?e et les pr?rogatives de la constituante. Les milieux d'affaires, plus ou moins compromis avec l'ancien r?gime, misent d?sormais sur ce vieil ennemi de Ben Ali comme on souscrit ? une police d'assurance. Chebbi rassure les classes moyennes lasses d'un climat d'anarchie qui commence ? leur faire regretter Ben Ali.

Brider les grands partis

Le succ?s annonc? d'Ennahda a du m?me coup polaris? la campagne sur la place de l'islam dans la soci?t? tunisienne. Mais ce d?bat id?ologique ne semble gu?re int?resser les Tunisiens, pr?occup?s surtout par l'am?lioration de leurs conditions de vie. Cinquante-cinq pour cent des ?lecteurs se sont inscrits volontairement, ce qui laisse augurer un taux de participation important, mais un ? deux tiers d'entre eux (selon des sondages d?pourvus de fiabilit?) seraient ind?cis. Certes, le scrutin du 23 octobre repr?sente une exp?rience totalement in?dite, un saut dans l'inconnu, mais pour Moktar Trifi, pr?sident sortant de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, cette perplexit? r?sulte surtout d'un ?discours politique indigent?. Le mode de scrutin - la proportionnelle int?grale au plus fort reste -, r?put? le plus compliqu? du monde, n'aide pas ? clarifier les enjeux. Selon Kamel Jendoubi, pr?sident de l'Isie, l'instance qui pilote les ?lections, il vise ?? permettre le maximum d'expressions politiques?. En r?alit?, il a ?t? sciemment choisi pour brider les grands partis. ?Nous aurons probablement une Assembl?e atomis?e, reconna?t Jendoubi. Ce qui pourrait entra?ner une instabilit? politique. Mais c'est un passage oblig? si nous voulons ?viter le risque d'un retour en arri?re avec un parti h?g?monique.?

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