Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Une rentrée terriblement humaine

Une rentrée littéraire serrée, avec «seulement» 524 romans, mais stimulante, et un accent sur le corps et la passion. Exemples venus de Belgique, de Suisse, de France, d’Allemagne et de Roumanie.

26 août 2019, 18:00
montage livres


Un esprit incarné

Amélie Nothomb est l’éternelle revenante de la rentrée littéraire d’automne. Cette année, le poids lourd en matière de ventes se concentre sur l’incarnation et le corps. Son narrateur n’est rien d’autre que… Jésus. Qui médite, la nuit avant sa crucifixion, sur la singularité de l’expérience sensorielle, et l’ignorance de son père à propos de cet état. Puis se révolte sur la croix, dans la souffrance. «Car ce que mon père m’inflige témoigne d’un si profond mépris du corps qu’il en restera toujours quelque chose. Père, tu as été dépassé par ton invention.» Un très bel hommage au corps, après des siècles de mépris dans la culture occidentale, à une époque où la matière organique, son lien avec l’esprit et l’appréhension du monde retrouvent leur juste place.

Amélie Nothomb, «Soif», Ed. Albin Michel, 162 p.


Il était une fois un palace

Après «Le Milieu de l’horizon» en 2013, couronné de nombreux prix, le Lausannois Roland Buti publie «Grand National». Dans ce roman, Carlo traverse une crise. Sa femme l’a quitté, et sa mère a disparu. Mais il peut compter sur son employé, un homme au corps massif et à l’innocence d’un gamin. Pendant cette recherche, Carlo sera confronté à la violence de l’histoire récente des Balkans, et découvrira le passé de sa mère, lié au palace du Grand National. Avec une écriture précise et concrète, Roland Buti rend ses personnages immédiatement attachants, tout en gardant une distance singulière.

Roland Buti, «Grand National», Ed. Zoé, 160 p.


Suicide social

Claire Farel, essayiste féministe reconnue, s’est mariée avec un journaliste célèbre qui a aidé sa carrière. Quand elle vit une passion sexuelle avec Adam, son ambition et la pression sociale devraient la décourager de quitter son époux. Et pourtant. Mais tout ne s’arrête pas là. Une accusation de viol, l’importance de l’image médiatique et des réseaux sociaux les entraînent encore plus loin. Dans ce roman passionnant, entre réécriture d’Anna Karénine et un nouveau tome de la Comédie humaine, Karine Tuil s’attache à la question du désir et du prestige dans le monde contemporain, et comment une impulsion sexuelle peut détruire un statut social construit avec acharnement. On peut y être frappé par la force du désir comme par celle de la pression sociale et l’extraordinaire besoin de reconnaissance de l’être humain, grâce à ses personnages et à ses situations, fascinants parce que puissamment crédibles.

Karine Tuil, «Les choses humaines», Gallimard, 352 p.


Cruauté de l’histoire

Un grand roman, dans tous les sens du terme, venu d’Allemagne. «La Fabrique des salauds», pittoresque et merveilleux comme un livre de Salman Rusdhie à ses débuts, sans la magie, mais avec toute la cruauté de l’histoire, raconte un siècle d’histoire de l’Europe à travers trois personnages. L’écrivain Chris Kraus commence par la fin. Dans un hôpital aux personnages secondaires savoureux, tels ce jeune hippie à la vis dans le crâne, ou l’opulente infirmière Gerda et son glaçant secret de jardinière, Koja Solm soigne sa blessure par balle. Sa femme Ev, qu’il n’espère pas revoir à cause d’une tragédie, lui manque indiciblement. Et son grand frère, aux convictions politiques et morales marquées durant la grossesse de sa mère par le sceau de l’histoire, lui rend une visite indésirable. Des images fortes, comme la noyade d’un pasteur allemand en 1905 par des fermiers lettons, précédée de sa lutte à coups de pommes rouges, et une ironie subtile font de ce roman une fresque passionnante sur les loyautés qui nous gouvernent et les trahisons qui s’imposent.

Chris Kraus, «La Fabrique des salauds», Ed. Belfond, 894 p.


Les cheveux de l’écrivain

Autre poids lourd, de par son nombre de pages, et son amplitude. «Solénoïde», hanté par le mystère de l’existence, retrace avec des détails foisonnants les rencontres capitales d’un homme constamment étonné par sa corporalité, obsédé par les poux, qu’il attrape «comme une maladie professionnelle», à cause du contact avec ses élèves, et auréolé de longs cheveux, tout ce qui lui reste de sa carrière d’écrivain.

Mircea Cartarescu, «Solénoïde», Ed. Noir sur Blanc, 849 p.

Votre publicité ici avec IMPACT_medias