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Une histoire d’abricots et d’autoroute

Jérôme Meizoz publie «Absolument modernes!», entre chroniques satiriques et récit intime sur le pari de la modernité dans les années 1970 et 1980 dans son Valais natal. Emouvant et drôle.

23 sept. 2019, 18:30
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Le personnage Jérôme Fracasse écrit des chroniques sur les années où son père, comme tant d’autres, avait une confiance inébranlable dans les progrès de la médecine, pendant que sa tante posait des ventouses d’une façon résolument archaïque. Confiance dans les progrès de la médecine, de la technique, et dans un meilleur partage des richesses, alors qu’on construisait une autoroute là où poussaient jadis les beaux abricots de la famille, et que personne dans le village n’a réussi tant qu’il ne conduit pas un magnifique bolide. Pendant ce temps, «Dieu, retiré sur un alpage, préfère s’en laver les mains». Entre ces chroniques teintées de la politesse du désespoir, des portraits de résistants modestes qui s’ignorent, les «anges»  de ce livre.


Pourquoi ce livre?

Pour moi, c’est une sorte de suite à «Haut Val des Loups» paru en 2015. Mais avec une focale plus large, sur plusieurs décennies, disons entre 1900 et 1980. «Haut Val des Loups» traitait de l’agression d’un écologiste dans les années 1990. Cette fois, j’ai essayé de retracer, de mon point de vue, en prenant appui sur des documents, ce moment où on a cru  à la croissance infinie, à la consommation heureuse, au progrès technique sans risque, ce que la génération de nos parents a vécu. 


Vous commencez avec la mort de votre père.

Après le décès de mon père il y a deux ans, j’ai relu ses papiers et j’ai voulu raconter son optimisme pendant les Trente Glorieuses. C’est le fil rouge du livre. Je voulais raconter comment il voyait le monde et me le présentait. Il avait une confiance presque absolue dans les bienfaits des technosciences, même s’il avait conscience de ce que signifiait Hiroshima. Il avait aussi l’optimisme de la croissance continue, infinie. Mon père était un ouvrier socialiste typique de cette période. Il était persuadé que le partage des richesses allait se réaliser peu à peu et que la croissance allait profiter aux plus modestes. 


Mais les choses ont changé.

Oui, notre regard a changé, à cause des problèmes d’environnement et de la robotisation du travail. Mais j’avais été biberonné à cet optimisme. Comment avons-nous tourné cette page? Quand et pourquoi «la flèche du temps» s’est-elle inversée? Aujourd’hui, nous vivons dans un imaginaire catastrophiste, très présent dans les médias. L’horizon a complètement changé, et je trouve assez pénible de vivre dans une telle ambiance…


«Absolument modernes!» a un côté patchwork.

Oui, j’aime le montage, l’écriture non linéaire. Pendant longtemps, j’ai cru qu’on écrivait un livre de manière linéaire, de la première à la dernière ligne. Mais pour moi, c’est impossible. Je commence donc par me documenter: lire sur les Trente Glorieuses, la presse d’époque, les historiens que je cite. Puis j’ai rédigé de petits épisodes, dans le désordre, d’où le côté montage. Enfin, j’ai donné au livre une structure (13chroniques entrecoupées de 13portraits d’anges). Cette forme kaléidoscopique correspond mieux à l’image que j’ai du monde. Impossible de prétendre à un unique et grand récit. Il s’agit plutôt de morceaux, de bribes d’un monde morcelé. 


«Absolument modernes!», fiction ou autobiographie?

J’avais envie d’inventer un «chroniqueur» un peu cocasse, excessif, mélancolique qui est un double exagéré de moi-même. Donc cela bascule dans la fiction, même si on sent bien que le récit est très autobiographique. J’ai imaginé ce Jérôme Fracasse avec «le cul entre deux chaises», et défendant des opinions très tranchées. Sa théorie sur la naissance du capitalisme suisse, issu des meules de fromage, est joyeusement délirante. D’ailleurs sa principale source est «Astérix en Helvétie»! Pour la première fois, je crois, j’ai essayé d’écrire un livre drôle…


Etes-vous contre le progrès?

Je ne suis pas technophobe. Et toute ma formation a été progressiste. Mais il faut bien convenir que nombre de projets réalisés au nom du progrès ont aussi leur face négative (nucléaire, automobile, automatisation, etc.). Avec «Absolument modernes!» j’ai voulu présenter plusieurs faces de l’histoire, maintenir l’ambivalence et le trouble. C’est un sentiment très courant dans la vie, et j’aime bien le traduire dans mes livres. 


Avez-vous le sentiment d’être un auteur valaisan?

C’est une étiquette un peu piégée. Je vis hors du Valais depuis des années, ce qui me donne un autre regard sur la région où j’ai grandi. Mais j’écris beaucoup sur ce canton, parce qu’il me faut partir de choses vues ou ressenties, pour ensuite les réinventer. Pour moi, ça n’aurait pas de sens d’écrire sur Paris ou le Canada. Me voilà un peu prisonnier de ce territoire, comme d’une promesse ou d’un charme… A la fois fasciné par lui et, souvent, révolté. J’essaye d’écrire des histoires qui touchent l’humain, mais situées dans un contexte précis. Puisque mes livres sont traduits en allemand, en roumain, il faut croire qu’ils sont lisibles hors du Valais!


Dédicaces:
Librairie Basta (Lausanne-Chauderon), le 3 octobre à 18h30
Payot (Lausanne), le 4 octobre de 16h30 à 18h
Payot (Montreux), le 26 octobre de 15h à 16h30

 


«Absolument modernes!»
Jérôme Meizoz,Ed. Zoé, 160 p.
 

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