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Un usage positif du théâtre contemporain

Sur la sellette d'un tribunal théâtral se tiennent un écrivain accusé de meurtre et, derrière lui, le fonctionnement même de la justice américaine. Cette donne est celle de «Soupçons», la dernière création du metteur en scène Dorian Rossel et de la compagnie Super Trop Top, présentée au Théâtre populaire romand à La Chaux-de-Fonds.

27 févr. 2010, 04:15

Al'origine, une affaire réelle. En 2002 et 2003 retentit et rebondit le procès de l'auteur Michael Peterson dont la femme est trouvée morte au pied d'un escalier. Aucune preuve scientifique n'étaye les soupçons de l'accusation, mais le passé hédoniste et la sexualité anormale de l'écrivain lui dessinent, par le relais des médias, un profil d'homme immoral et dangereux. Quoi qu'il en soit, la justice doit trancher. Selon la morale américaine et ses raccourcis binaires, Peterson ne peut qu'être bon ou mauvais, coupable ou non coupable. La complexité de la réalité n'intéresse ni les journaux ni les jurés.

Curieusement, le travail scénique de Dorian Rossel ne s'inspire pas directement des faits historiques, mais d'une série documentaire conçue par le réalisateur français Jean-Xavier de Lestrade au sujet du procès. C'est que le film tire déjà du fait divers anecdotique ses implications humaines et sociétales, sur lesquelles se concentre exclusivement le metteur en scène suisse. Peterson a été désincarné par les médias: le voici réincarné sur la scène d'un théâtre où apparaissent mieux les masques identitaires et simplificateurs qu'on lui a fait porter. Toute faite de discours et de contradictions, la pièce est mise en scène dans une perspective tantôt symboliste et tantôt absurde. Cependant, des moments d'humour et de tension parviennent à percer les dehors intellectuels d'un tel projet.

Voilà, en tout cas, une forme positive de théâtre contemporain. D'une part, «Soupçons» concerne des événements récents. Sur le plan politique, l'œuvre touche aux questions actuelles de la justice américaine et du poids des médias. Sur le plan philosophique, elle aborde la construction fragile et mouvante de l'identité et l'absence d'une frontière rectiligne entre la fiction et la réalité. Sans être tout à fait originales, ces thématiques restent à la mode.

D'autre part, la scénographie recourt à des techniques à la fois modernes et courantes, comme la projection vidéo en direct et la conception d'un décor qui se transforme tout au long du spectacle. Dans un effort de réduire l'écart entre la scène et la salle, les comédiens s'adressent frontalement au public, identifié au jury du procès ou à l'audience des télévisions, c'est-à-dire aux spectateurs originels de ce feuilleton judiciaire.

Enfin, Rossel et sa compagnie ont le mérite d'appliquer le médium théâtral à des problématiques appropriées, sans la moindre gratuité. Intrinsèquement dramatique, l'affaire Peterson ne peut développer tous ses enjeux que sous la forme d'une recréation scénique. A l'époque du procès, l'accusé avait déjà l'impression de devoir jouer le rôle d'un personnage qui ne lui ressemblait pas. /TLE

La Chaux-de-Fonds, Théâtre populaire romand, ce soir, à 19 h

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