Pas facile de résumer le dixième roman du Valaisan Jean-Marc Lovay, «Tout là-bas avec Capolino». En quelques mots, il est question pour le narrateur de retourner avec Capolino «au loin de nos lointains de toujours», puis de laisser partir ce «champion de tous les départs ratés» avec la certitude de le revoir un jour. L'intrigue étant déroutante, qu'est-ce qui nous permet de suivre le narrateur et de traverser ce passage dont aucun voyageur n'a jamais pu revenir? Le mystère, l'énigme peut-être: Capolino, dont l'empreinte du visage épouse si bien celle du narrateur est-il un frère disparu dont il faut faire le deuil? Djinjé est-elle la mère elle aussi disparue, et la directrice de la corporation des remodeleuses et des rhabilleurs de visages une amante dévoreuse?
On a parfois l'impression d'être enfermé dans le crâne du narrateur, et plutôt que se noyer dans une quête de sens, il faut peut-être suivre les longues phrases hypnotiques, avancer dans cette narration comme on court dans un rêve, lentement, freiné par une résistance élastique, et savourer l'usage ludique des mots et du monde de Jean-Marc Lovay. Déguster l'écriture qui ne recule pas devant les paradoxes ni les oxymores, parfois drôles, parfois expressifs: «Le miaulement du chat chanteur ayant perdu sa voix». Et s'imprégner de l'univers, délirant, onirique, habité entre autres par de longues chemises d'été endormies dans des bahuts où elles rêvent d'être un manteau d'hiver. Un monde où tout se transforme, où tout n'est qu'apparence, où Capolino devient l'espace d'un instant un blaireau, où la division entre lui et le narrateur n'est pas claire, où les visages, parce que tout, y compris les émotions, est éphémère et transitoire, semblent «se retenir doucement de rire et tranquillement se réjouir de bientôt pleurer». Un roman baroque, donc, qui orchestre un monde en mouvement, et révèle une fois de plus un imaginaire unique.
«Tout là-bas avec Capolino», Jean-Marc Lovay, éd. Zoé, 2009