Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Plumages et ramages au bar

Loin des clichés sur les egos surdimensionnés et les haines inexpiables des écrivains, «Les Plumes» réinvente avec bonheur un certain art de la conversation intellectuelle en BD.

27 nov. 2010, 12:51

Inscht, Greul, Malard, Alpodraco: ces quatre noms improbables sont ceux de quatre écrivains bien français qui se retrouvent régulièrement «Au rendez vous des amis», un petit bar de quartier que son patron s'apprête à revendre. Paniqués à l'idée de devoir changer leurs habitudes, nos auteurs, ni une ni deux, se mettent… en quatre (précisément!) pour empêcher que leur stamm perde son âme. Entre-temps, la vie suit son cours, avec son cortège de cocktails, séances de dédicaces, sortie de livres, pannes d'inspiration et épouses à contenter: démythifiés, les princes de l'écriture se révèlent des hommes (presque) comme les autres.

Ni chronique rigoureusement suivie ni simple juxtaposition de moments choisis, «Les Plumes» d'Anne Baraou et François Ayroles séduisent par une sorte de nonchalance pointue ou de tendresse féroce qui nous rend attachants ces écrivains dont les côtés insupportables sont compensés par des traits d'humanité aussi rafraîchissants qu'inopinés. Parisiens et nombrilistes autant que peut le réclamer leur profession, ils sont pourtant aussi, et peut-être avant tout, des amis qui, miracle!, parviennent parfois à s'entraider les uns les autres… jusqu'à un dénouement qui viendra tout de même discrètement remettre en question cette belle unanimité! Bien sûr le cabotinage perce ici et là, les névroses de vieillissement et autres angoisses de la page blanche sont également au rendez-vous.

Surtout, voilà un ouvrage qui risque de ne pas être tout à fait du goût de ceux qui ne lisent que des bandes dessinées: les concours de citations ou de mots rares, les allusions littéraires en tous sens abondent, mais jamais, cependant, pour humilier le lecteur, qui a toute latitude de trouver un peu vaines les affections d'intellectualisme de nos quatre mousquetaires de la plume (qui, en passant, en perdent aussi quelques-unes). Inventer des écrivains fictifs qui puissent être dignes des vrais: on comprend bien que le pari ait tenté un scénariste talentueux. Le trait expressif, mais non exempt de quelques raideurs, d'Anne Baraou accentue encore, par sa discrétion et ses couleurs délavées, ce primat de l'écriture qui nous laisse, somme toute, bien augurer de la suite de cette série atypique. /ACO

«Les Plumes», François Ayroles (scénario), Anne Baraou (dessin), éd. Dargaud, 2010

Votre publicité ici avec IMPACT_medias