Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Peindre pieds nus et avec l'ange

Yolande Moreau se révèle géniale dans le rôle de Séraphine, une domestique qui développe des talents de peintre.

30 janv. 2009, 09:18

Séraphine Louis est née à Senlis en 1864. Orpheline à sept ans, recueillie alors par sa sœur, elle travaille d'abord comme domestique puis comme femme de ménage. Un collectionneur allemand, Wilhelm Uhde, découvre en 1914 ses peintures faites à la lueur de la bougie en solitaire. Il croit en elle et la soutient avec efficacité. Il s'installe à Chantilly en 1927 et retrouve Séraphine, qui sera internée en hôpital psychiatrique en 1935. Elle meurt en 1942.

Apprendre chaque jour quelque chose reste un plaisir, tel celui qui vient d'être résumé! «Séraphine» est donc une biographie cinématographique plausible à en croire la rapide visite guidée par Google. Mais c'est aussi une belle surprise, un grand film inattendu. L'occasion permet de savoir qui est Martin Provost, acteur, auteur dramatique, romancier, scénariste, réalisateur. «Séraphine» est son deuxième long métrage.

A l'origine, un excellent scénario, pour les trois parties annoncées par intertitre. Trois fois, on pousse les volets d'une chambre sombre pour laisser entrer une lumière éclatante, geste libérateur accompli par Séraphine chez son employeuse, par Wilhelm dans sa nouvelle demeure, et par Séraphine encore dans un hôpital enfin accueillant pour elle. On retrouve d'autres éléments inscrits dans chaque période, le rôle d'un arbre isolé, d'une chaise de métal, l'état de son immuable chapeau. Voilà qui d'emblée salue l'écriture et la mise en scène qui en découle.

Séraphine fabriquait ses propres couleurs en refusant de dévoiler ses secrets, d'autant plus que pour elle la perfection restait à atteindre. Un ange lui a dit de peindre. Elle multiplie les motifs dans chaque peinture, souvent des fruits, des fleurs, parfois des yeux. Ses œuvres sont aussi «innocentes» que celles du douanier Rousseau. Le générique de fin informe sur les œuvres insérées dans le film.

Séraphine vit aussi en étroite symbiose avec la nature, parle aux arbres, sait qu'on peut consoler un animal. On la voit souvent dans de grands espaces verts, bordés d'arbres frissonnants dans le vent, au bord de l'eau, s'y baignant nue, quelques secondes durant. L'ange pourrait bien être un adepte de ce panthéisme attaché à la nature qui vibrait dans «Lady Chatterley», auquel «Séraphine» fait un peu penser.

Que serait le film sans Yolande Moreau, tout simplement géniale, formée chez Lecoq, issue des Deschiens, avouant son admiration pour Zouc? Elle imprègne, renfrognée, le récit. Souvent méprisée socialement, elle ose répondre franchement et trouve dans la création artistique son accomplissement, même si elle peine à croire à la sincérité de Wilhelm. Son langage change, pas son comportement. La folie qui l'attache sur son lit est la conséquence de sa situation sociale, du silence de l'ange et d'une médecine alors brutale. Pauvre puis presque riche, elle ne reste pas moins pieds nus en intérieurs, elle marche de ce pas lourd qui naît de la grande maîtrise du corps que Yolande Moreau pratique avec un parfait naturel. Un film qui touche par sa grande sensibilité autant que par la subtilité de la mise en scène. /FYL

Neuchâtel, Apollo 3; La Chaux-de-Fonds, Scala 3; 2h05

Votre publicité ici avec IMPACT_medias