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Médecin écrivain, il ferraille contre les idées reçues

Alzheimer. Le mot tombe comme un couperet sur les malades et leurs proches. Pourtant, plus de la moitié des patients atteints d'une démence ne souffrent pas de la terrible maladie. Dans son dernier livre, le neurologue et écrivain, Claude-André Dessibourg, soulève une question encore taboue: les faux diagnostics d'Alzheimer. Claude-André Dessibourg signe, sous son nom de plume Claude Luezior, un récit troublant, «Rebelles», paru aux éditions de l'Hèbe. Une fiction, certes, de la même veine littéraire que «Fragile», recueil de poésie primé par l'Académie française en 2000. Mais un roman construit sur la base d'observations cliniques, où l'auteur raconte comment une femme diagnostiquée «Alzheimer» souffrait en fait d'une hémorragie chronique (en l'occurrence, un hématome subdural) parfaitement opérable et réversible. Entretien avec un médecin écrivain qui fait métier «d'imaginer l'inimaginable».

06 févr. 2008, 12:00

Vous venez de publier avec votre confrère, le professeur J.-L. Lambert, un ouvrage scientifique sur les déficiences intellectuelles. Pourquoi aborder aujourd'hui la maladie d'Alzheimer dans un roman?

Tout d'abord, la neurologie de la personne âgée fait partie intégrante de mon métier. Je crois ensuite qu'un exemple vécu à travers les mots du romancier peut apporter de la force à la réalité. Lors de la guerre du Vietnam, la fameuse photo de presse montrant une fillette brûlée par du napalm, fuyant seule sur une route, était plus parlante que bien des discours.

Votre Vietnam à vous...?

Si, grâce à mon roman, cinq personnes faussement diagnostiquées Alzheimer se sortent de l'ornière, ce sera une très belle victoire. Le cas évoqué dans mon dernier roman n'est pas exceptionnel. Des personnes souffrant d'attaques à répétition, d'une tumeur frontale, d'un manque d'hormone thyroïdienne, d'une carence en vitamine B12 ou en acide folique etc., peuvent présenter des symptômes ressemblant fort à une démence dégénérative. Chacune de ces situations s'est présentée à plusieurs reprises dans mon cabinet. Un patient «étiqueté» de ce mot terrible d'Alzheimer, a été finalement traité avec des antidépresseurs: aujourd'hui, tous ses symptômes pseudo-démentiels ont disparu.

Les diagnostics ne seraient donc pas toujours fiables?

Tout d'abord, le clinicien interroge la personne et son entourage, examine son patient physiquement, fait ou délègue des examens neuropsychologiques, demande une prise de sang et, si c'est justifié, un scanner ou une résonance magnétique. Il s'agit donc d'une procédure où l'on doit exclure une bonne vingtaine d'autres maladies. Certaines peuvent d'ailleurs coexister. Parfois, un Alzheimer commence par une dépression, à laquelle se superpose une embolie. Il n'y a pas de marqueur fiable signant l'Alzheimer.

Par votre démarche, vous risquez de susciter de faux espoirs?

Il faut bien dire que la plupart des oublis sont bénins et normaux. Nous perdons tous les jours un certain nombre de nos 100 milliards de cellules cérébrales de manière physiologique. Le battage publicitaire orchestré autour de la maladie d'Alzheimer par des maisons pharmaceutiques a un côté artificiel et angoisse bien des personnes. D'un autre côté, la démence est un diagnostic sérieux qui doit se faire de manière minutieuse par un médecin ou un centre compétent. C'est souvent le cas dans notre pays. Mais ce mot Alzheimer ne doit être ni un épouvantail, ni un oreiller de paresse. Par ailleurs, on assiste également à des sortes de dénis collectifs: je rencontrais l'autre jour une infirmière d'un home qui prétendait qu'aucun de ses 60 résidants (dont l'âge moyen était de 85 ans) ne souffrait d'Alzheimer. Ce qui est en réalité fort peu probable.

Vous êtes médecin, professeur et écrivain... vous ne craignez pas le mélange des genres?

Cette triple vie est une lutte perpétuelle, mais je signe mes livres de fiction sous un pseudonyme pour que mes patients sachent que le secret médical est une valeur inoxydable. J'arrive à mon cabinet le matin à 5h45 et écris jusqu'à 8 heures. Ensuite, je mets ma blouse blanche. L'après-midi est consacré à mes expertises, mes cours, mes recherches. Je travaille 14h par jour; mais beaucoup d'autres personnes, ne serait-ce que les mères de famille, en font tout autant. Si la médecine est le plus beau métier du monde, j'ai toujours gardé en moi un fond artistique et littéraire. Dans la vie, comme dans les sciences ou les arts, c'est l'interface des choses qui me passionne. Einstein ne disait-il pas que la qualité première du scientifique était l'imagination? /CFA

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